La question de la "DETTE", du
"Devoir de Mémoire", |
( Il s'agit de la "Dette" par rapport au passé, au réel qui nous a
précédé,
à nos "racines" culturelles, familiales,
nationales, ...humaines, animale ...)
(.. et ceci suite à une émission de "Répliques" du samedi 24 avril 1999
:
invités Alexandre Adler et Bernard Henri Lévy sur le thème de l' Allemagne et de la polémique
autour des déclarations de Martin Walzer )
Où précisément BHL se dit d'accord avec Habermas sur l'idée de la nécessité
d'une adhésion à une constitution universelle démocratique ( la "Loi" )
au-delà de tout enracinement national communautaire.
Ce avec quoi je suis fondamentalement d'accord, en particulier avec l'idée qu'il s'agit là d'un
accord conscient et volontaire, sauf que, contrairement à Habermas ou à d'autres auteurs qui défendent cette forme
d'universalisme abstrait, je pose qu'on ne peut donner aucune démonstration ("déduction") rationnelle
rigoureuse de la "nécessité" d'une telle adhésion à une "Loi démocratique
universelle".
( ... mais toute la question est probablement justement dans ce problème - kantien par
excellence - de l'auto-définition ou de l'auto-critique de la raison par elle-même )
Il ne s'agit pas non plus, pour moi, de chercher à substituer, à une telle
"défaillance" de la raison, une "foi" quelconque, fût-elle "rationnelle"
( ce que Kant a "cru" nécessaire ) :
Je choisis (
et tout autre sujet qui le veut librement avec moi
peut faire ce choix ), |
Il en résulte, en revanche, qu'il n'existe alors pour nous
plus aucun
autre "recours en légitimité" ultime possible, en dehors de notre propre et commune
volonté, si nous prétendions que cette idée doive, au sens d'une obligation "hétéronome" ou d'une quelconque "DETTE"
envers une quelconque "transcendance", divine ou humaine, naturelle , culturelle, ou autre,
être
TRANSMISE aux nouvelles générations, sauf bien sûr dans la mesure où des membres de ces
nouvelles générations ( que nous pouvons certes "souhaiter" les plus nombreux
possibles),
choisissent à leur tour, le plus librement, cette Même Loi.
La "FINITUDE" humaine, actuellement constatée, reçue
passivement ( et à travers tout le "passé"),
si elle est de l'ordre d'un "fait" actuel, que nous reconnaissons donc comme
"fait brut", reconnaissance simplement de la "brutalité" du réel, cette finitude actuelle
ne constitue en rien une "dette" quelconque : car l'existence de ce qui
est
ne constitue pas en soi une raison morale suffisante pour continuer à
être, si cette existence ne persévère dans l'être qu'au
détriment d'innombrables autres formes qu'elle détruit ou empêche d'exister pour survivre
elle-même.
Pourquoi avons Nous ou reconnaissons Nous une certaine
"Dette" envers le "Passé"
(l'histoire, l'humanité, la nature, la culture, les racines, la pluralité des
"origines", etc.)
C'est pour TROIS RAISONS POSSIBLES :
1. Première raison possible de reconnaissance de la "dette" d'un héritage du passé.
- Parce que nous Y trouvons, rétrospectivement,
l'annonce de Notre propre Loi :
car ce n'est bien sûr pas la première fois que la Liberté est invoquée comme fondement
de la Morale ! Et je ne prétends apporter aucune idée neuve d'un point de vue philosophique.
Mais ce n'est pas parce que la Liberté n'est
plus une "idée neuve", que le fondement de la valeur
de cette idée devrait désormais être fondée dans une
"fidélité" ou dans la "transmission" de cette valeur, sous prétexte qu'elle nous viendrait de glorieux ancêtres, ou qu'il
faudrait conserver pieusement la mémoire de tous ceux qui sont morts EN SON NOM,
ou encore que la valeur résiderait dans un "ACTE ORIGINAIRE" qu'il faudrait
commémorer comme tel
("originairement passé" : "origine symbolique" située comme
"antérieure"
chronologiquement ou hiérarchiquement, dans une histoire ou un mythe à ré-citer).
Si je REformule le Principe de la Liberté,
c'est pour dire que j' Y adhère LIBREMENT
sans chercher à payer une "dette" et sans demander à quiconque d'en
payer une,
et que le fondement de cette Liberté, PAR laquelle j'adhère à la Liberté n'est que cette Liberté elle-même .
Mais alors c'est au nom de notre propre Loi que nous estimons la valeur morale du Passé :
ce qui a de la valeur morale dans le "passé" est ce qui
nous permet aujourd'hui de mieux poursuivre la réalisation de la Loi qu'aujourd'hui nous
posons, et c'est par rapport à
un tel Projet que nous nous donnons une obligation de "mémoire" des "leçons du
passé".
2. Deuxième raison possible de reconnaissance de la "dette" d'un héritage du passé.
- Parce que nous Y trouvons, dans ce "passé"
et dans le "réel" comme passé,
le "réservoir" fondamental des formes qui ont réussi à exister, un certain
temps du moins, le tissu support des ressources qui nous servent comme des contraintes
qui nous limitent aujourd'hui et déterminent le cadre de notre action
( n'ayant en tant que tel que la valeur "économique" et "technique"
d'une "mine" à exploiter, "mine" : patrimoine ou capital , qu'il soit "naturel",
"culturel", ou ce qu'on voudra et / ou de contraintes : terrain "miné" à gérer et à surmonter )
De ce point de vue le passé comme tout le "réel" est "moralement
neutre" :
il est ce qu'il a été : le "support" qu'il nous procure, pour le meilleur ou
pour le pire,
ne nous engage à aucune dette : le passé a globalement "fait ce qu'il a pu"
et nous ne lui "devons" rien : imagine-t-on qu'une souris actuelle
"doive"
quelque chose à son ancêtre poisson au sens où elle devrait le remercier
de lui avoir "permis" de devenir souris ? Ou alors c'est simplement une façon de dire
que dans la forme de la souris actuelle, nous
trouvons encore toutes les traces
du passé des formes antérieures.
3. Troisième raison possible de reconnaissance de la "dette" d'un héritage du passé.
- Soit enfin, sans doute et heureusement, parce que nous Y trouvons
des résonances heureuses, que notre "goût" nous porte
"spontanément",
en même temps que nous ressentons ces résonnances,
à les transmettre sous une forme où une autre.
MAIS ICI, AUCUNE OBLIGATION MORALE NE SAURAIT NOUS DETERMINER :
la spontanéïté du goût est ce qu'elle est et se transmet elle-même ... si on en a le
goût :
n'a à être transmis, en tant que goût, que ce que le goût particulier de chacun lui
donne envie ( "en vie" )
de transmettre ( et aux générations futures le goût particulier de recevoir).
D'autre part, Nous devons être au contraire très attentifs au risque que la propension (
le Goût )
à transmettre nos simples Goûts se transforme en restriction de la Liberté des autres.
Rien en effet ne garantit une "harmonie préétablie" de la variété des
"goûts" et "dégoûts"
qui ferait coexister dès aujourd'hui entre eux, dans un joyeux trYptique du "Jardin
des Délices",
toute cette polyphonie sans créer de limitation pour la liberté de personne, d'aucun
sujet.
La spontanéité reproductrice et créatrice, de l'Art comme de la Vie, ne garantit pas
par elle-même
la construction d'une plus grande liberté : chaque forme vivante, comme vivante,
peut chercher à se développer comme elle peut, autant qu'elle le peut, au détriment
des autres nécessairement, "innocemment", dans le grand jeu de la dévoration
universelle.
Mais NOUS, SUJETS LIBRES, ne pouvons et ne voulons plus être seulement les produits,
les effets éphémères et fluctuants d'une telle "REALITE".
Nous avons désormais Notre MOT A DIRE.
Pour Nous justifier (Nous qui choisissons cette Loi Morale Nouvelle )
Nous ne pouvons plus, pour JUSTIFIER une OBLIGATION,
Nous référer à une Tradition, ou à de quelconques Racines
( sauf de façon "rhétorique", esthétique, ou dans des formes d'argumentation
qui ne peuvent en appeler, chez notre interlocuteur, qu'à une communauté de
"goût",
communauté d'"affinités éléctives", dont nous partagerions, par un heureux
hasard,
les "résonnances", mais qui ne peuvent et ne doivent en aucun cas se constituer
comme "Loi Morale" ),
Nous ne pouvons Nous référer qu'à Nous-Mêmes et à la Loi de la Liberté
que, librement, Nous INSTITUONS.