Trois hypothèses pour une conscience future

L’objet de cet article est d’explorer les conditions d’une conscience organique future possible qui soit à la fois totalement consciente d’ “elle-même” et capable d’implémenter une pluralité de consciences distinctes, qui puissent, à partir des seules traces de “mémoires biographiques” réelles du passé ou imaginaires artificielles, produire ou reproduire des consciences personnelles numériquement identiques à leurs “modèles-mémoires” préalables.

Dans ce but, nous poserons trois hypothèses de base, dont la première, concernant le pouvoir d’un organisme-cerveau d’ être conscient, est la plus simple à comprendre dans le cadre des connaissances scientifiques actuelles.

La deuxième concerne la question spécifique des “mémoires biographiques”, comprenant des “traces” diverses permettant à une conscience au sens précédent de se représenter à elle-même comme continue dans le temps et/ou un jour “clonable” en conservant, pour chaque conscience “clonée”, le souvenir d’avoir été par le passé, une et une seule conscience identifiable également dans l’unicité numérique de référence objective d’un “organisme” localisé dans l’espace temps. Une telle hypothèse, actuellement seulement testable sous forme d’ “expérience de pensée”, ne pourra être effectivement testée, soit pour la confirmer, soit pour l’infirmer, que dans un futur qui demande encore un développement techno-scientifique important, bien que certains des éléments nécessaires à un tel test soient déjà partiellement présents dans la littérature scientifique actuelle.

Une expérience de pensée concernant l’identité de notre conscience passée :
Considérons l’essentiel des traces mémoires distribuées dans notre cerveau et qui nous permettent, le matin au réveil, ou mieux , après une anesthésie, de nous rappeler que la conscience actuelle éveillée est dans une certaine continuité avec les souvenirs que nous avons d’états antérieurs de cette “même conscience”, dans ce qu’on appelle en général la “mémoire biographique”, celle qui est gravement perturbée lors de certains traumatismes des personnes qui “ne savent plus qui elles sont”, c’est à dire qui elles ont été avant leur accident ou traumatisme.
Remarque : cette distinction attestée par tous ces cas connus de perte ou de déficit important de la “mémoire biographique”, montre au moins une chose :
Il y a une distinction importante à faire entre les ressources cognitives permettant à un cerveau d’être conscient “ici et maintenant” de certains aspects de son environnement actuel ( y compris de son corps propre ) et de la réflexivité de sa conscience actuelle, et les processus cérébraux de construction d’une représentation du passé et de mise en cohérence des souvenirs permettant au cerveau conscient actuel de s’attribuer une “histoire”, supposée garantir son “unicité numérique”, entre son passé et sa “conscience de soi” actuelle.

Imaginons maintenant, que l’essentiel de l’ensemble de ces traces mémorielles qui nous permettent, “au réveil”, de nous reconnaître comme ayant un passé à travers la présence de nos “souvenirs” ( de la veille, ou de notre enfance, etc. ), puisse être “cloné” et donné à interpréter à un cerveau conscient, comme s’il s’agissait de son propre passé, ou du moins avec une capacité suffisante à entrer en concurrence avec les souvenirs “naturels” propres au cerveau d’ “accueil” .

En un certain sens, le cerveau d’accueil aurait au moins en partie la connaissance d’ “avoir été” dans le passé cet ensemble relativement cohérent de souvenirs “clonés”.

Si ce clonage est fait à de multiples exemplaires, chacun des cerveaux receveurs, pourra de la même façon, devenir conscient d’avoir “vécu” ces “souvenirs”, et donc d’ “avoir été” cette personne dont la “mémoire biographique vécue” aura été clonée.

Il est bien sûr possible d’objecter que ce seraient que de “faux souvenirs”, sous prétexte que dans la réalité des processus biologiques des cerveaux receveurs, ces receveurs n’auraient pas “réellement vécu” ce dont ils sont persuadés de se souvenir.

Encore faudrait-il que l’on puisse faire effectivement une différence pertinente.
Pouvons-nous faire une réelle différence entre d’anciens souvenirs, notamment de la petite enfance que nous pensons avoir réellement vécus, et ceux que nous avons “reconstitués” à partir des récits de nos proches, des photos ou autres documents extérieurs ?

Si on cherche à sortir des contradictions potentielles entre tous les types de “vécus subjectifs” et des sentiments de certitude associés par les personnes concernées, on est amené à considérer que les seules méthodes fiables pour établir la réalité factuelle d’un évènement rapporté au passé, sont les méthodes scientifiques ( cf police scientifique, recoupements et contrôles divers effectués par des experts de différentes disciplines, etc. ) .
Mais, en reconstruisant ainsi, par ces méthodes scientifiques, des “évènements objectifs”, en termes de cohérence scientifique logique postulant l’unicité “en soi” d’un évènement réel, indépendamment de la diversité phénoménale des “expériences vécues” qui ont pu être subjectivement élaborées et mémorisées par les personnes plus ou moins proches ou concernées par l’évènement,
on est alors amené à considérer que de tels “évènements objectifs” ne sont en fait jamais “vécus” par personne, que tous ces “souvenirs vécus” rapportés à un tel “évènement objectif” sont tous des interprétations subjectives, dont chacune a sa propre cohérence et qui peuvent chacune à son tour être considérée comme un “évènement objectif secondaire” :

Si on peut établir scientifiquement que les “licornes” n’existent pas, il n’empêche qu’il existe des “représentations” individuelles ou collectives de telles “licornes” et que ces croyances elles-mêmes constituent comme telles des objets dont une certaine existence objective peut être établie :
Dans les termes du “monisme matérialiste” dont je me réclame, toute construction “subjective”, individuelle ou collective, toute représentation, mentale ou physiquement extériorisée d’une “entité” existante ou non, est en elle-même, comme support “signifiant”, une organisation matérielle particulière ( par exemple un état cérébral particulier ) , qui peut être potentiellement distinguée physiquement, comme support signifiant, des autres “représentations” :
Si je me donne mentalement l’image d’une “licorne rose”, si je suis capable de la distinguer d’une autre image ( comme autre classe ou comme autre occurrence ), une telle distinction suppose un support “physique” de cette distinction ( une légère différence d’organisation d’un état cérébral ) :
Toute “pensée” différenciée suppose des “traces” physiques différenciées, même si elles sont “distribuées” et difficiles à déceler et à identifier.
Pas de “pensée” sans une forme ou une autre de “cerveau pensant”, c’est à dire d’organisation matérielle complexe qui permet l’ “émergence” de cette “pensée”.


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La 3ème hypothèse :
La troisième hypothèse est la plus difficile à cerner dans le contexte scientifique ou de “métaphysique spontanée” des connaissances scientifiques actuelles sur la façon dont une conscience de soi individuée reconnait sa propre “identité numérique”.

1 L’Hypothèse 1 :
Cette hypothèse consiste à “naturaliser” entièrement la capacité générale pour une organisation matérielle physique de devenir “consciente” d’un certain nombre des aspects du réel de l’univers physique dont elle est une partie, et de devenir aussi consciente d’une différence entre une partie “extérieure” de son expérience du réel consciemment “perçu” et une partie de ce même réel constituant son “corps propre” .
Une telle organisation consciente peut enfin acquérir la capacité réflexive par laquelle la conscience peut se faire elle-même “objet” de son attention :
Non seulement la “conscience du soi corporel”, ( dont de nombreuses espèces animales semblent capables : test du miroir ), mais une conscience de sa propre conscience, qui suppose sans doute l’intermédiation d’une “pensée – langage”, dont la présence chez certaines autres espèces animales que l’ homme n’est pas encore clairement attestée ( dans la mesure où il faudrait pouvoir “parler” avec d’autres animaux que nous mêmes de ce qu’ils sont en train de penser et de ce qu’ils imaginent eux-mêmes que nous pensons …
Il s’agit là de partager un monde de signification symboliques subjectives et notamment de positions “grammaticales” en “première personne” et pas seulement de partager la conscience d’un monde extérieur commun.

Peut importe les capacités spécifiques d’une conscience actuellement existante ou que nous pouvons imaginer comme plus puissante que les nôtres dans différents types d’organismes, notre “Hypothèse 1” consiste toujours à poser que ces capacités “extraordinaires” de la conscience ou de ses états possibles sont nécessairement “supportées” par une organisation physique matérielle dont la complexité d’interactions connectées produit nécessairement, dans certaines situations et configurations ce que nous appelons la “conscience de quelque chose” et assez rapidement alors, le “retour” réflexif de cette conscience se prenant elle-même pour “objet”.

Nous pouvons appeler cette Hypothèse 1, l’Hypothèse de la naturalité physique matérielle organisée des “capacités de la conscience”.

La conséquence essentielle de cette hypothèse, aujourd’hui largement admise dans les communautés scientifiques, est qu’il est possible d’ étudier scientifiquement les caractéristiques des phénomènes de la conscience, et d’en formuler des modèles explicatifs théoriques testables par des méthodes d’observation, d’expérimentation et de simulation, comme dans l’ ensemble des disciplines scientifiques. Avec en particulier le souci d’expliciter les liens entre le niveau global le plus complexe et les niveaux d’organisation physiques sous-jacents, aux différentes échelles de la complexité matérielle.

Il s’agit donc de poser que nous n’aurons plus aucun besoin de faire appel à des propriétés substantielles mystérieuses, soit d’une “substance pensante” ou “substance vivante”, différente de la matière organisée, soit de multiples “substances individuelles” du genre “âme” dont il faudrait imaginer l’ intervention séparée, supplémentaire par rapport à la complexité de l’organisation corporelle et notamment cérébrale.

Nous supposons donc, dans cette Hypothèse 1, qu’il est possible d’agir en retour sur la réalité physique complexe constituée par un “organisme conscient”, et que des modifications organisationnelles précises de ces interactions peuvent avoir des effets très importants sur la construction des dynamiques de la conscience., de même que les dynamiques de la conscience – constituées de dynamiques matérielles/énergétiques/informationnelles – peuvent rétroagir sur les niveaux d’organisation “inférieurs” , qu’ils soient externes ou internes à l’organisme conscient.

Les individualités que nous sommes,comme “personnes humaines conscientes”, même dans leur plus grande “singularité”, ne sont pas des “substances” métaphysiquement distinctes et/ou métaphysiquement articulées, mais des systèmes matériels organisés, dont les processus de base d’organisation et de capacité de “survie” dans leur environnement sont fondamentalement les mêmes.
Nous pouvons donc apprendre énormément sur notre propre fonctionnement “personnel” en comprenant scientifiquement de mieux en mieux comment en général les différents niveaux de complexité fonctionnent , chez les autres êtres humains, et de proche en proche, d’autres systèmes vivants organisés, ou d’autres dynamiques matérielles de systèmes complexes.

Les progrès d’une telle connaissance scientifique générale des systèmes complexes et de leurs diversités organisationnelle, peut donc servir de socle à notre réflexion sur toute “conscience future possible”, qui sera toujours elle-même une organisation matérielle, aux propriétés “émergentes” encore inconnues, mais dont les “ingrédients” et interactions fondamentales élémentaires seront les mêmes que ceux qui sont déjà utilisés dans les organisation physiques actuellement existantes dans l’Univers.
Et bien évidemment aussi, si la “réalité en soi” de ces “composants” est elle-même supposée stabilisée, par l’existence même de notre Univers physique , la connaissance que nous en avons est encore lacunaire et simpliste , et peut en particulier être révisée rétroactivement par ce que nous saurons des propriétés “émergentes” encore inconnues ou insoupçonnées de niveaux d’organisation de la matière dont nous n’avons pas encore actuellement l’expérience possible.