« L’universel après l’universalisme »

Deux articles parus dans AOC :

L’universel après l’universalisme – Pourquoi, malgré tout, défendre l’universalisme ? 2/2

Par Alain Policar Politiste

 » À partir des défis et critiques exposés précédemment, ce second volet de l’analyse consacrée à l’universalisme engage une réflexion sur la construction d’un idéal cosmopolite qui transcende les frontières et les héritages du colonialisme. Une vision renouvelée de la modernité apparaît alors possible, dans laquelle l’universel se révèle non comme une oppression, mais comme une quête collective pour une humanité unie dans sa diversité et ses aspirations à l’émancipation. »

Il existe une grande différence entre la proposition du cosmopolitisme universaliste classique d’ Alain Policar, et le type de « nouveau cosmopolitisme » qui résulterait de l’adoption, par un certain nombre de personnes, mais pas nécessairement par « toutes » , de la Proposition d’ « Égale Liberté Libre Égalité ».

En ce sens, il serait approximativement possible de dire que notre proposition « ELLE » se situe entre celle d’un « cosmopolitisme universaliste » supposé à nouveau fondé sur une « vérité universelle » dans l’ordre normatif et d’autre part le « relativisme » s’appuyant directement sur le constat de la diversité des références culturelles, dont chacun serait constitutive d’un « monde » distinct organisé par des « vérités alternatives » .

Visiblement, ce que ne veulent pas comprendre, comme d’ailleurs déjà Kant, les tenants d’un « cosmopolitisme universaliste humaniste » traditionnel, c’est la différence fondamentale à faire entre ce qui est de l’ordre de la « vérité » comme établissement contrôlé de la connaissance scientifique du réel ( relevant de ce que Kant appelait la « raison théorique » ) , et précisément ce qui est de l’ordre de la normativité éthico-juridico-politique, qui – pour les humanistes universalistes en général – est fondamentalement basé sur l’idéal de la Liberté.

L’erreur kantienne et à sa suite de la plupart des « humanistes universalistes » est d’avoir pris pour modèle de la « législation morale » ( et donc aussi juridique et politique ) l’universalité de la méthodologie scientifique rationnelle, telle qu’il pensait la trouver notamment dans la physique newtonienne.
Kant prétend établir dans cet ordre de la normativité, à travers l' »impératif catégorique », etc. une universalité équivalente à celle établie par la physique newtonienne dans l’ordre de la compréhension des « lois de la nature ».

Il oublie ainsi paradoxalement sa propre innovation qui consiste à définir l’ordre normatif ( éthico-juridico-politique ) comme étant celui de la Liberté, et que précisément les « lois de la nature » scientifiquement établies n’ont, par définition, aucun besoin de se référer, ni à une législation divine, ni à la législation normative de la liberté.

Pour ma part, dans la Proposition de l’Égale Liberté Libre Égalité, le recours fondateur à la Liberté s’appuie entièrement et radicalement sur lui-même :
C’est LIBREMENT que « NouS » instituons le « nouvel ordre normatif » sur cette Liberté même : à la fois instituée et instituante :

Toute pensée libre consciente d’elle-même a donc, par définition ( définition que ces consciences se donnent d’elles-mêmes ), la possibilité de CHOISIR et de DÉCIDER si elle veut ou ne veut pas participer, ou dans quelle mesure ( dans l’ échelle d’un « plus ou moins « ) , à l’institution réelle de structures culturelles normatives permettant de développer dans le réel physique ( à tous les niveaux d’organisation de la matière possibles ) des conditions et ressources réelles permettant une telle « Égale Liberté Libre Égalité » dans son ouverture indéfinie vers un « avenir » dont elle définit de plus en plus elle-même les nouvelles lignes directrices.

Il en résulte qu’un tel « nouvel universalisme », ne peut en aucun cas s’imposer contre la volonté personnelle individuelle des personnes concernées :
Il s’agit donc d’un simple potentiel d’universalisation possible … pour toute « personne libre et égale » qui choisit librement de se considérer comme telle et donc de considérer très exactement de la même façon toute autre « personne libre et égale » qui effectue librement ce même choix.

Comme il n’y a, dans cette perspective, aucune possibilité ni de contraindre ni d’obliger d’avance ou a priori de telles « personnes libres et égales » à faire un tel libre choix ( définition de la liberté … ), il est donc prévisible qu’un certain nombre d’êtres humains, comme personnes individuées, ne feront pas un tel choix ( au nom de leur propres libres raisons ) … et constitueront ou continueront à constituer des communautés « culturelles » ou « juridico-politiques » diverses ne reconnaissant pas notre Proposition d’ « Égale Liberté Libre Égalité » .

Il y aura donc à penser nécessairement un « Dedans » et un « Dehors », où les personnes concernées décident elles-mêmes d’être « dedans » ou « dehors » ou dans toutes sortes de situations frontalières mixtes avec « un pied dedans et un un pied dehors » , par rapport au « nouveau contrat moral » de l’ Égale Liberté Libre Égalité ».
Le système global de ces frontières est donc complexe et fluctuant, sans cesse soumis à toutes sortes de dynamiques évolutives de déstabilisations en restabilisations.
Il peut exister dans ce système des zones où la frontière entre « Dedans et Dehors » est relativement nette et stable , les personnes qui se situent de part et d’autre d’une telle frontière sachant clairement si elles sont « dedans » ou « dehors », ou si elles ont plus ou moins « un pied dedans » et « un pied dehors ».
Mais beaucoup de ces « frontières » ont et auront peut-être de plus en plus une structure « fractale », c’est à dire que les zones « dedans » ou « dehors » seront très « imbriquées » et développant leurs dynamiques de distinctions à toutes les « échelles ».
La zone propre de développement individualisé de la « personne », et qui se situe en quelque sorte à une échelle intermédiaire, entre les dynamiques organisationnelles « supra-personnelles » ( politiques, culturelles, sociales, économiques, etc. ) et les dynamiques intra-personnelles ( neuro-psychologiques, subjectives, organiques biologiques corporelles … ), peut alors être elle-même le lieu de turbulences où parfois des rigidités frontalières se cristallisent, ou encore être traversée par les structures « fractales » qui déploient leurs dynamiques aux différentes échelles entre des organisations supra-personnelles et les échelles intrapersonnelles de conflits internes et de modes divers de « résolution » de tels conflits.

La « personne libre et égale » s’auto-organise précisément librement à une telle échelle intermédiaire, parce qu’elle EST ET SE VEUT consciemment « personne libre et égale » en articulant sa liberté auto-conçue comme IDÉAL projeté et par ailleurs les conditions préalables de réalisation d’une telle liberté qui sont elles-mêmes « représentées » à cette conscience, soit en tant que conditions « extérieures » à la personne ( « environnementales », « sociales », etc. ), soit comme conditions internes ( capacités corporelles, « psychologiques » : mémorielles, linguistiques, sensorielles, etc. ), toute personne « consciente d’ elle-même », sachant précisément au minimum que les conditions réelles minimales de sa conscience actuelle réelle sont nécessairement réunies au minimum comme capacité générale à produire des représentations conscientes.

Remarque : C’est le coeur de la remarque cartésienne universalisable du « cogito » comme conscience de soi ne pouvant pas se penser autre qu’elle-même ( notamment absente à elle-même, « inconsciente » ou « morte » ) aussi longtemps du moins qu’elle continue à penser : le doute hyperbolique au sujet de tout contenu particulier de cette attention consciente, y compris au sujet des représentations que la conscience se donne de ce qu’elle est « elle-même », ne peut pas détruire cette représentation minimale du soi conscient, sans détruire simultanément la capacité même qui alimente la possibilité de douter. Plus je prétends « douter de tout », plus je présuppose et je renforce la capacité générale par laquelle il est possible de douter , et l' » hyperbole » auto-organise ainsi – par « négation continuée possible » – sa propre configuration limite, formellement liée au présupposé formel de la « réflexivité »: en « doutant de lui-même », tout doute « hyperbolique » se relativise lui-même, en ne pouvant « scier la branche sur laquelle il est lui-même assis » que jusqu’au point « limite » où précisément la « branche » casserait … Or – aussi longtemps du moins que j’ai conscience de me penser comme conscient – c’est que la branche n’est pas cassée.
Certes il existe des états de conscience intermédiaires ( comme dans le rêve par exemple, ou toutes sortes d’états de conscience « altérée ») , où la capacité d’attention de la conscience à son propre auto-contrôle n’est que partielle, et peut même souffrir de cette incapacité à se retrouver « entièrement » elle-même : ainsi dans les rêves où nous pouvons savoir partiellement que nous sommes en train de rêver, et que le cauchemar semi-conscient consiste alors à ne pas retrouver la voie de la récupération globale de l’état de veille conscient.

Pour en revenir à la question de la liberté en rapport avec celle de la conscience personnelle de sa propre liberté, je pose consciemment et librement une forme de réciprocité entre « ma conscience de ma liberté et ma liberté de ma conscience » : je ne saurais être « libre » sans être au moins à certains moments « conscient » et donc notamment « conscient de ma liberté » , et réciproquement, je ne saurais être entièrement « conscient de moi-même comme conscience » sans être en même temps « libre de cette conscience », c’est à dire capable de choisir au moins partiellement le degré de conscience, en particulier la conscience volontaire ou la volonté consciente d’entretenir ou de développer les conditions de ma liberté.

Certes, telle que je l’ai énoncée ci-dessus, la formule de réciprocité ( cette implication réciproque ne veut pas dire identité de la conscience et de la liberté ) entre « conscience » et « liberté » , VAUT pour « ma liberté » et pour « ma conscience » ( dont JE suis librement et consciemment responsable envers « moi-même » ).
Cette formule ne VAUT donc comme potentiellement « universalisable » que par et pour les personnes qui choisissent comme moi, de poser une telle formulation :
Ainsi la formule « ta conscience de ta liberté » implique réciproquement « ta liberté de ta conscience » , ne VAUT pas par MA propre décision personnelle, mais si et seulement si le « TU » auquel je m’adresse ( « c’est vous qui voyez » ) transforme librement cette formulation proposée en la sienne propre, en position de « première personne », en devenant alors, pour cette personne qui s’en empare, aussi formulable comme implication réciproque de « ma conscience de ma liberté et ma liberté de ma conscience« .
En généralisant alors à toutes les personnes qui accepteraient librement une telle formulation, nous pouvons alors formuler en commun cette idée sous la forme : « notre conscience de notre liberté » implique réciproquement « notre liberté de notre conscience« .

Ce qu’on appelle alors couramment la « liberté de conscience » ( où le mot « conscience » prend une signification morale et plus seulement psychologique en passant de « Bewusstsein » à « Gewissen » , ou en anglais de « Consciousness » à « Conscience » ) suppose en effet la « conscience de cette liberté » .

A cause de l’ ambigüité sémantique du mot « conscience » tout seul hors contexte, en français, il faut compléter par l’ adjectif en général utilisé pour distinguer « conscience psychologique » et « conscience morale ».
Notre formule de réciprocité signifie alors plus précisément :
« la conscience psychologique de notre liberté possible ou effective » implique réciproquement « la liberté possible ou effective de notre conscience morale « .