L’hypothèse de la Guerre

Dans un récent article sur AOC, Le courage de “prendre une position”,
Patrice Maniglier se demande comment le mode de penser philosophique peut nous servir en cette situation “concrète” nouvelle que nous impose la Guerre en Ukraine, depuis la décision de Poutine de passer à l’offensive le 24 février 2022.

La philosophie consiste à exercer les outils du raisonnement ordinaire, de cette espèce de discours sans garantie ultime, sans terrain solide, qui ne cesse de se produire en nous à propos de ce que nous vivons.

De notre côté ( celui d’un “NOUS” devenu précisément plus que jamais problématique, par rapport à un “EUX” dont “nous” ne savons pas trop ce ou qui il désigne ) , nous ne pouvons pas ne pas nous demander ce que le libre parti pris, ou la “prise de position” de la Proposition de l’ “Égale Liberté Libre Égalité” , peut avoir à “nous” dire, et où en effet chaque personne, depuis les conditions locales de sa vie quotidienne, est questionnée quant à une “position personnelle à prendre”.

Si la question était seulement, comme certains nous y invitent, à prendre parti dans une confrontation binaire simpliste entre deux “camps” en guerre, alors “nous” aurions précisément une attitude aussi simpliste que celle que nous voyons à l’oeuvre dans l’agression militaire déclenchée par Poutine.

Certes, nous pouvons assez facilement aujourd’hui, nous complaire dans l’ indignation du camp de la liberté contre le camp de l’oppresseur, et en tirer nos marrons du feu, du moins aussi longtemps que cela ne frappe pas trop immédiatement nos propres conditions de vie locale personnelle …

Mais plus que jamais, il est nécessaire, en plus, de ne pas se laisser intimider par les indignations émotives qui peuvent chercher à culpabiliser toute forme de “pensée complexe” en l’accusant de lâcheté devant les “impératifs du réel”.
Plus que jamais des “personnes libres et égales” doivent se garder d’être assimilées, malgré elles, à toutes sortes de camps collectifs marqués par des étiquettes et drapeaux de toutes sortes que les simplificateurs agressifs veulent pouvoir leur imposer.

Plus que jamais, des “personnes libres et égales”, quelles ques soient les situations et appartenances collectives diverses auxquelles on les assigne, auront pour souci de pouvoir reconnaître à d’autres personnes la même “Égale Liberté” que celle qu’elles voudraient se voir reconnaître à elles-mêmes … si ces autres personnes sont librement disposées à faire de même …

Mais, justement, diront les objecteurs simplificateurs, il n’est plus question de “liberté”, nulle part, et à la non-liberté des opprimés et victimes de toutes sortes doit répondre la “non-liberté du devoir de libérer” les opprimés de leurs oppresseurs … puisqu’il est redevenu aujourd’hui si facile de savoir “QUI opprime QUI” …

Mais une telle “facilité” immédiate de distinguer l’oppresseur et l’opprimé, le bourreau et la victime, doit aussi nous faire réfléchir à long terme, sur les nœuds complexes où s’enchevêtrent les jeux du “triangle dramatique” du bourreau, de la victime et de tous ceux qui se positionnent en “sauveurs” .


Le nationalisme, c’est la guerre

Au moment où au nom d’anciennes nostalgies impériales certains prennent à nouveau le risque d’attiser les pulsions meurtrières de certains êtres humains à l’ égard d’autres êtres humains, plus que jamais, nous proposons à chaque personne humaine, quelle que soient les étiquettes collectives, nationales, religieuses, politiques, culturelles, sociales, ethniques, linguistiques, claniques, familiales, etc. qui lui sont imposées par les contraintes locales, historiques, géographiques, de sa naissance, de se délivrer de ces carcans collectifs, en élevant la souveraineté propre de chaque personne sur elle-même – pour autant qu’elle reconnait réciproquement à toute autre cette même Égale Liberté – , au-dessus des “souverainetés” des collectifs prétendus souverains qui oppriment leur autonomie personnelle.

Nous proposons donc la reconnaissance par les collectifs politiques actuels, de l’autonomie personnelle de chacun de ses citoyens, et donc de la possibilité universelle de tels citoyens de s’associer librement avec d’autres personnes dans le monde, pour construire avec elles de nouvelles associations collectives à l’échelle planétaire, qui ne soient plus fondées sur les rapports de force et de domination passés ou actuels, mais bien sur la libre décision personnelle de leurs membres associés, de promouvoir leur commune mais “Égale Liberté”.

Nous proposons donc à chaque personne, de ne plus se laisser intimider par l’ attribution collective d’étiquettes qui leur sont accolées par d’autres, sans que leur avis personnel leur ait jamais été demandé.

Toutes les personnes humaines qui pensent que leur autonomie personnelle est parfaitement compatible avec l’autonomie personnelle de nombreuses autres personnes dans le monde, lorsque celles-ci sont prêtes en retour à leur reconnaître cette même autonomie, ont donc toute légitimité à demander des comptes à toutes leurs instances collectives “souveraines” respectives ( en particulier les “États Nations” dont elles dépendent ) .
Des comptes quant aux réels efforts que font ces instances “souveraines” politico-juridiques que sont les “États de droit” pour dépasser leurs rivalités collectives en permettant au moins à ceux de leurs “citoyens” qui le souhaitent, d’acquérir un statut de “citoyen du monde” demandant à voir leurs droits humains juridiques fondamentaux ( que ces États ont signés ) respectés très exactement dans la mesure où eux-mêmes, en tant que personnes, acceptent de les respecter.

Certains voudraient utiliser les circonstances guerrières actuelles pour ranimer les vieux conflits internationaux ou de “blocs” supposés en cherchant à soumettre les personnes aux contraintes ou prétendues obligations de leurs “appartenances identitaires” préétablies.

Qu’un grand nombre de personnes puissent “choisir” de mettre leur appartenance nationale, ou de “camp” d’alliance militaire, ou de camp “civilisationnel” prétendu, au-dessus de leur adhésion à la valeur universalisable des droits humains, c’est en effet leur problème et leur responsabilité interne ( entre “nationalistes” ou “civilisationnistes” ou “autoritaristes illibéraux” de tout poil ) … du moment qu’elles n’empêchent pas les autres, de vivre en paix leur Égale Liberté librement choisie.

Que les “faucons” nationalistes s’entredéchirent entre eux au nom de leurs propres drapeaux, qu’ils le fassent sur leurs propres “champs de bataille”, mais ne cherchent pas à embrigader avec eux une grande masse de personnes parfaitement capables de concevoir entre elles d’autres rapports humains.

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Une analyse intéressante de la situation géo-politique actuelle :
“Nous sommes dans la guerre” d’Étienne Balibar sur AOC

Remarque concernant le texte de Balibar :
Si je comprends bien qu’ à l’heure actuelle, dans la situation “dans la guerre” où nous nous trouvons, nous sommes bien obligés de faire avec les contraintes et les urgences du moment, donc notamment avec une certaine intégration à des “camps” en présence, parce qu’un “camp” est moins pire que d’autres ( Comme “la démocratie est le pire de tous les régimes, à l’ exception de tous les autres … ” ), je pense cependant qu’Etienne Balibar aurait pu davantage se distancier de tous les nationalismes qu’il ne le fait, même si par ailleurs, vers la fin de l’ article il rappelle sa position plus générale :
Je me garderai donc de conclure. Mais j’essayerai de prendre parti, avec et contre mon propre « camp ». Je suis très attaché à la position pacifiste de principe qui fait partie de la tradition de la gauche mondiale, et corrélativement à l’internationalisme hérité du communisme révolutionnaire et renouvelé par l’anti-impérialisme du 20ème siècle. Mais le pacifisme se trouve aujourd’hui pris entre des exigences contradictoires, tout particulièrement sur le continent européen, comme ce fut déjà le cas à l’occasion d’autres conflits où les droits humains fondamentaux étaient en cause. Et l’internationalisme, plus nécessaire que jamais dans sa « méthodologie » politique, apparait tragiquement désarmé lorsque la logique de guerre ne s’accompagne pas d’une mobilisation transnationale au moins virtuelle, ayant son propre « mythe » ou sa propre « utopie » comme ciment. La cage d’acier s’est refermée. Je ne vois d’autre perspective immédiate qu’une « unité de contraires », en espérant qu’elle se développe dialectiquement.

Pourquoi ne pas essayer de lancer une telle “mobilisation transnationale au moins virtuelle” ? Mais pour cela, il faudrait sans doute cesser de penser que le “pacifisme de principe” et l'”internationalisme” devraient en théorie être partagés par tous les “êtres humains”, mais qu’il est parfaitement possible de penser une communauté transnationale qui ne rassemblent virtuellement que les personnes qui font le libre choix de la reconnaissance mutuelle de leur “EGALIBERTE” ( terme proposé par Étienne Balibar dans un de ses ouvrages … ).