Je parle ici d’une question reposée par François Galichet dans son ouvrage “Mourir délibérément ?” ( Presses Universitaires de Strasbourg mars 2014 ).
Cette question “Pourquoi suis-je moi ?” est notamment traitée au chapitre 5 de l’ouvrage , chapitre intitulé “Qui veut mourir ?“
En posant ainsi la question de l’ “identité du sujet” supposé vouloir sa propre mort.
Remarque : la question “Qui veut mourir ?” est sans doute aussi philosophiquement proche de la fameuse question posée par Jean-Luc Nancy “QUI vient après le sujet ?” .
Mais je ne traiterai pas ici de ce rapprochement.
La question posée, après d’autres … , par François Galichet, est “Pourquoi suis-je moi ?”
P.110 :
“Pourquoi suis-je moi?” ne signifie pas : pourquoi suis-je ainsi, avec ces caractéristiques, ces qualités, ces propriétés […]
“Pourquoi suis-je moi?” signifie : pourquoi les suis-je, elles et non d’autres que je pourrais avoir ou être tout aussi bien ?
“TOUT AUSSI BIEN” , vraiment ?
Qu’est-ce qui permet d’ affirmer avec une telle certitude apparente que le “je” en première personne qui affirme ainsi son existence “arbitraire radical” , pourrait être “tout aussi bien” être le MÊME SUJET, avec des “caractéristiques”, des “propriétés”, des “qualités” tout à fait différentes ?
De deux choses l’une :
A – Ou bien c’est faux, c’est une pure illusion de croire une telle séparabilité du “sujet comme tel” , par rapport à toutes les caractéristiques empiriques de l’organisme incarné dans un environnement qu’il est. Que certaines propriétés de notre organisme individuel , les plus “extérieures” , soient “accidentelles”, ne signifie pas nécessairement qu’elles le soient toutes, en particulier toutes celles qui définissent nos capacités d’activités mentales conscientes, nos capacités mémorielles et linguistiques, notre puissance imaginaire, etc.
Il se peut que nous ne puissions en percevoir certaines comme empiriques aléatoires que parce que nous avons certaines capacités cognitives personnelles propres qui, si nous ne les avions pas, nous empêcheraient précisément de nous penser comme “ce que nous pensons être” : Si nous n’étions pas un “être humain” avec un cerveau d’être humain, mais comme dans l’exemple cité par F. Galichet, un “axolotl”, nous ne nous poserions pas du tout une telle question “Pourquoi suis-je moi ?” . Il existe donc des caractéristiques toutes “empiriques”, mais essentielles pour permettre à une personne humaine de “philosopher ” ainsi : Quand je parle de moi-même comme “sujet”, il s’agit bien d’un ensemble de capacités “cognitives” qui peuvent se retrouver “tout aussi bien” chez la plupart des êtres humains, et même pour certaines, chez des nombreuses espèces animales, etc.
Il faut donc au moins distinguer ces capacités très générales et “anonymes” d’un cerveau complexe, des particularités des “mémoires biographiques” construisant des “récits mémoriels individuels” où le “je suis moi” se conforte.
B – Mais d’une certaine façon, il y a aussi du vrai possible dans cette “séparabilité” du sujet abstrait “sans qualités” précises de telle ou telle des propriétés qu’une description empirique extérieure peut m’attribuer.
Mais dans ce cas, qu’est-ce qui permet de dire qu’il s’agit d’un “arbitraire radical” que rien d’empirique ne pourrait combler ?
Sil est vrai qu’en effet je pourrais avoir telle ou telle propriété particulière que d’autres ont et que je n’ai pas, qu’est-ce qui interdirait en soi que “je” puisse également les acquérir ?
Il se trouve juste, que pour le moment, je ne les ai pas, mais rien n’interdit , en particulier dans un développement technique futur, que “je” n’acquière de telles “qualités” … ou propriétés non “essentielles” .
Le “Pourquoi suis-je moi?” n’a alors rien de “métaphysiquement” arbitraire , mais est purement lié à une situation actuelle de limitation des techniques biologiques, qui “me” permettraient de devenir en effet “tout aussi bien” semblable à n’importe quel “autre” et réciproquement : il s’agit alors d’une capacité générale de “plasticité” de nos personnalités qui n’est pas aujourd’hui accessible aux êtres humains et qui nous “condamnent” encore à rester dans “notre peau” …
Dans les deux cas, je peux parfaitement considérer que là où François Galichet perçoit ( croyance philosophique ) un “arbitraire radical”, je ne conçois qu’une limite empirique actuelle toute relative qui pourrait être un jour transcendée par le “progrès scientifique et technique” .
Qu’aujourd’hui les êtres humains avec la configuration de leur organisation corporelle et cérébrale actuelles ne puissent pas “sortir” de la “condition humaine” actuelle, et se sentent “enfermés” dans l’organisation biologique individualisée qu’ils ont héritée du passé évolutif de leur espèce, ne signifie nullement qu’il s’agisse d’un “arbitraire métaphysique radical” :
C’est bien plutôt cette croyance qu’ils s’imposent à eux-mêmes “arbitrairement”, comme “allant de soi”.
Ni plus ni moins que de s’imaginer être une “âme spirituelle” dans un “corps matériel” en se laissant abuser par les simplifications représentatives de tels “concepts” .
En réalité, “nous” ne savons pas encore réellement ( scientifiquement ) tout ce que nous “sommes” ou pourrions devenir.
La question “Pourquoi suis-je moi?” qui semble à première vue très subtilement profonde, est peut-être tout simplement encore mal posée :
Quand on voit combien en fait l’imaginaire métaphysique des philosophes, y compris les plus “grands penseurs” parmi eux, produit en fait, pour chacun d’entre eux, des représentations conceptuelles diverses personnelles sur ce que c’est que “penser” ou les conceptions très différentes que se fait un Descartes de la “substance pensante” qu’il “pense” être., et du “sujet transcendantal” qu’un Kant s’évertue à penser comme “inconnaissable” en soi … je considère pour ma part, qu’on est simplement encore dans ces conceptions “métaphysiques” dans la préhistoire d’un savoir que seuls les connaissances scientifiques et les performances techniques futures pourront reformuler de façon aujourd’hui sans doute encore inimaginable :
C’est le progrès des “neurosciences” et de la compréhension des systèmes matériels organisés complexes qui permettra plus probablement de sortir des actuelles apories de l’ “arbitraire radical” dont certains philosophes comme François Galichet croient pouvoir nous “éclairer”.
Assurément, nous aurons encore bien des surprises sur “ce que nous sommes” ou pouvons potentiellement être, devenir, … ou redevenir, y compris après ce que nous croyons aujourd’hui être notre “mort” et sa supposée irréversibilité.
Certaines “expériences de pensée” peuvent cependant dès aujourd’hui nous défaire de certaines “certitudes de bon sens” :
Qu’est-ce qui, “logiquement“, nous empêcherait de nous “réveiller” un jour, après notre “mort” aujourd’hui supposée irréversible ? Et de nous “rappeler” de toutes sortes de “vies antérieures” partiellement oubliées et diversement “remixées” ? Et de visiter ou revisiter les “mémoires” et les “identités” des “autres” ? D’autres que “moi” ont déjà proposé que “Moi est un autre …”
Quant à Vous, c’est Vous qui voyez …