Paradoxes de l’identité personnelle

Le 8 octobre 2021, un article de Jean-Pierre Dupuy paraît dans « AOC », intitulé « Métaphysique de l’ Anomalie »
https://aoc.media/opinion/2021/12/28/metaphysique-de-lanomalie-2/

Les paradoxes de l’identité personnelle sont en général liés à des paradoxes de la dimension temporelle. Rien d’étonnant à cela : Le temps étant la dimension suivant laquelle je peux conserver toute mon « identité personnelle numérique », tout en devenant éventuellement très différent au cours du temps de ce que j’ étais, « conceptuellement » ( en termes de caractéristiques d’ « essence » conceptuelle ou comme on dit en logique de la « compréhension » du concept ).

Lorsque je parle d’ « identité personnelle« ( à savoir en particulier « mon identité personnelle » ) , je distingue bien sûr cette question de l' »identité personnelle » ( liée à l’Idéal de la « Personne Libre et Égale » et qui pose d’abord une question « de jure » ) de celle de l’ « identité individuelle« , qui est d’abord une question concernant la réalité « de facto » de l’existence physique des « individus », comme systèmes biologiques « corporels » complexes en relation complexe avec leur « environnement » lui même organisé de façon complexe, et susceptible d’études « pluri-, inter- et trans- disciplinaires quant à l’organisation dynamique complexe des relations entre « individuation » et « organisation sociale » dans l’ espèce « homo sapiens » ou le « genre homo » dans son évolution biologique rétroagissant notamment par ses productions « culturelles » sur l’ensemble des « écosystèmes » qui ont rendu possible son émergence.

Mais cette distinction des notions de « personne » et d’ « individu » ne tire sa valeur propre que de la décision même, prise en tant que « personne », et plus précisément « en première personne » ( par « moi-même » en disant « JE ») , se posant elle-même comme « Libre et Égale », d’effectuer une telle distinction entre l’Idéal d’ « autonomie personnelle » et notamment d’ « autonomie de la volonté » ( « de jure » ) et la réalité physique complexe où la « personne » se reconnait aussi, de facto, comme « individu » ( même reconnu ensuite en en « troisième personne » ), au sens à la fois du membre d’une « espèce biologique », et d’ « appartenances », sociologiques, économiques, culturelles, etc. multiples à des « organisations » supra-individuelles, ayant leur propre niveau de fonctionnement complexe.

L’articulation entre « personne » et « individu » se faisant dans les deux sens :

1. Je pose comme préalable que toute capacité « personnelle » effective, en acte, suppose une organisation physique effective, de soubassement d’abord « biologique » (postulat de type « réalisme scientifique » ) : ensemble des dynamiques bio-physiques qui constituent le cadre de l' »évolution du vivant » pour donner lieu à une organisation dynamique corporelle et notamment cérébrale capable de se représenter elle-même dans une position « singulière » au sein de tout le système de « représentations » ( conscientes et inconscientes ) que le cerveau vivant ( et ici même mon cerveau vivant ) peut élaborer au sujet de son corps propre et de l’environnement-monde où il existe comme « vivant ».

Il n’est donc nullement nécessaire, dans la perspective que je propose, de supposer un quelconque « dualisme » à l’intérieur du « réel de facto » , qui opposerait, à la manière cartésienne une « substance pensante » à une « substance étendue », ni même à la manière kantienne une réalité « nouménale » inaccessible à notre connaissance et une réalité « phénoménale » qui serait seule accessible à la connaissance.

La position que je choisis de prendre est donc de type « monisme matérialisme émergentiste » : toute forme d’existence réelle, dont ma propre existence individuelle et personnelle consciente d’elle-même , suppose une organisation matérielle certes extrêmement complexe, mais non pas d’une complexité « infinie », mais bien hiérarchiquement déterminable en termes d’ « échelles » d’intégration, depuis les structures physiques « élémentaires » ( décrites par les théories de la physique, notamment quantique ) jusqu’à l’organisation biologique corps-cerveau, dont le tissu d’interactions avec son environnement lui aussi physique, produit de facto ce que j’appelle « ma conscience de moi-même ».
Les progrès de nos connaissances scientifiques sur une telle « matière organisée » aux différents niveaux de complexité, finiront par permettre aux êtres organisés conscients que nous sommes, à se donner des représentations et modélisations suffisamment efficientes et précises de cette complexité, que de nombreux effets de « rétroaction » en particulier redescendants dans les niveaux d’échelle, nous donneront des moyens d’interaction actuellement encore totalement « inouïs », puisque non encore « émergés » de formes d’organisation complexes encore inexistantes et n’ayant peut être encore jamais existé dans l’univers depuis le « big bang » …


2. La distinction « personne / individu  » est donc elle-même avant tout liée à la distinction « de jure » / « de facto » , elle même instituée – dans sa valeur projective – par un « de jure » auto-proclamé par la personne qui s’ « autorise » elle-même ( et dont d’une certaine façon, le « sapere aude » des « Lumières » kantiennes, mais aussi bien d’autres prises de pouvoir philosophique auto-référentes ont déjà pu se réclamer dans l’histoire … ).
Et, il se trouve, parce que « je » le veux ainsi, que je m’autorise en effet de l' »autonomie personnelle » radicale de ma propre volonté.

Et bien sûr, rien ne garantit « a priori« , ni dans aucun « de facto« , que l’ Idéal d’ « Égale Liberté Libre Égalité » puisse se généraliser suffisamment dans des « incarnations » physiques organisationnelles réelles, pour passer de façon beaucoup plus convaincante et efficace de l’énoncé de l’ Idéal à une « réalisation effective » .
La seule « garantie » qui peut valoir au yeux de la « personne libre et égale » est alors celle de l’autonomie de la volonté propre de cette personne à mettre cet Idéal en œuvre dans la mesure de ses propres possibles « individuels » sur lesquels elle pense avoir suffisamment à la fois de prise corporelle ( tant que « je » en personne « commande » à mon « corps propre » les actes compatibles avec un tel idéal « personnel » propre ).

Car c’est précisément en ce lieu de l’autonomie de sa propre volonté, qu’elle PEUT, si elle le VEUT, décider de définir ce qui VAUT pour elle-même et jusqu’à quel point, cette VALEUR, posée au minimum comme Idéal, « doit » au minimum pour cette personne elle-même, se traduire en « réalité ».

Remarque : il est facile de comprendre que toute personne qui « pense » et « réfléchit » à ses propres « valeurs idéales » a au minimum la volonté d’y réfléchir, ou du moins de CONTINUER ou de REPRENDRE une telle « réflexion » si d’aventure une telle « première réflexion » lui était venue entièrement du « dehors » ou avait soudain surgi de façon inconsciente et/ou aléatoire des « profondeurs de son inconscient » pour se « révéler » dans sa propre conscience.

Nous sommes donc capables de construire une « représentation », notamment langagière, d’un tel Idéal, et donc de l’inscrire, d’une certaine façon, dans notre propre mémoire biologique « cérébrale », et diversement stabilisable par les supports d’information extérieurs, culturels et techniques dont nous nous servons pour réussir à rétroagir sur notre propre mémoire cérébrale éventuellement défaillante, dans différentes « boucles » de « réafférence »

Et ceci, bien sûr, du simple fait, – que certains peuvent choisir de ne pas reconnaître – …, que toute pensée effective suppose, « en réalité », une organisation physique capable d’effectuer une telle « pensée ».
( Notamment ce que nous appelons notre « cerveau » … )

Autrement dit, il y a un postulat que je formule, et qui est aujourd’hui de plus en plus commun à de nombreuses personnes, qui est que leur propre pensée consciente n’est réellement possible que grâce à une organisation matérielle complexe, ( notamment cérébrale ) , dont certes nous n’avons encore qu’une connaissance scientifique largement incomplète, mais dont il serait aujourd’hui, à mes yeux et aux yeux de ces personnes, parfaitement incongru de nier la « naturalité biologique », vu les connaissances scientifiques accumulées, dans la biologie en général et dans les « neurosciences » humaines en particulier.

Un tel postulat d’émergence de la conscience en général et de la « conscience de soi » en particulier, par des dynamiques auto-organisationnelles du réel physique « naturel » n’a bien sûr plus rien à voir avec les dualismes substantiels du « corps » et de l' »esprit » , dont les exemples philosophiques sont bien connus, à la fois hérités des anciennes conceptions « animistes » religieuses ( l’ « âme et le corps » par exemple des monothéismes, ou du platonisme grec ), et de la « solution cartésienne moderne », d’un « cogito » supposé purement transparent à lui-même comme « substance pensante », mais aussi du dualisme kantien entre une structure « transcendantale » du sujet, et la réalité empirique « phénoménale » qu’elle est censée « construire ».

Si donc bien évidemment, l’ Idéal n’est pas le Réel, comme « la carte n’est pas le territoire », il n empêche que toute « carte » est aussi une portion d’un territoire, et qu’elle a besoin pour être interprétée comme « carte d’un territoire » d’un « interprétant » lui-même réel et d’une certaine façon ancré dans le territoire dont il utilise la carte. Ainsi l’organisation de nos « cartes neuronales » est à la fois formellement « auto-organisée » ( en termes de « traitement récursif de l’information »), mais aussi très fortement entrelacée avec les dynamiques auto-organisationnelles physiques, chimiques et biologiques du « support » neuro-cérébral qui « implémente » l’auto-organisation proprement « formelle » du « traitement de l’information et du signal ». Précisément parce que le tout est « auto-organisé » et non pas construit par un super-ingénieur qui chercherait à « fabriquer » une telle « conscience artificielle » en imposant ses propres « plans » de l’extérieur.

Notre position « matérialiste émergentiste » s’apparente ici à celle de Francisco Varela et de la notion de l’ « énaction« , où la polarisation habituelle du « sujet » et de l’ « objet », est une résultante dynamique de la complexité des interactions dans certaines circonstances de la conservation rétroactive de ces systèmes d’interactions.

Notes :

On peut aussi rapprocher ma position de celle de John Searle :
Comme lui je pense que la traditionnelle « distinction du corps et de l’ esprit » est un faux-problème …

De même les questions traditionnellement posées concernant le « problème difficile de la conscience » ( Chalmers ) me semblent mal posées, en ce sens qu’elles cherchent à résoudre des difficultés qui résultent précisément de la distinction artificielle préalable de la « réalité objective extérieure » et de la « conscience intérieure subjective » . ( On tombe alors sur les questions typiquement cartésiennes d’une « articulation » entre « substances » distinctes ).


Voir aussi la problématique traditionnellement discutée à partir de Locke :
Le prince et le savetier
Mission impensable

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