EVA naissante, EVA nous hissante

Cet article est ( re (? )-commencé ) à propos d’un ouvrage de Paul Ricoeur :
La mémoire, l’ histoire, l’oubli ( Seuil, septembre 2000 )

En exergue une phrase de Vladimir Jankélévitch :
Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été : désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir été est son viatique pour l’éternité.

Bien sûr cela évoque pour moi, à titre d’intérêt immédiat du moment, une controverse philosophique avec François Galichet, à propos de ce qu’il pense de la problématique de la mort et de son rapport avec la problématique l’identité personnelle ( Pourquoi suis-je moi ? ), dans son ouvrage “Mourir délibérément ?” ( Presses universitaires de Strasbourg, 2014 )

Mais, pour en revenir à l’ouvrage de Paul Ricoeur, la question qui me vient, dès la lecture des premières pages où Ricoeur, en philosophe historien de la philosophie, reprend la problématique de la mémoire et de l’imagination, telle qu’elle a été ( ou aurait été ??? ) posée par Socrate, Platon, Aristote …, cette question est la suivante :
Jusqu’où la façon dont une philosophie personnelle ( ici celle de Paul Ricoeur) , reprend et “revisite” le fil de l'”histoire de la philosophie”, donc se “remémore” une pensée antérieure de plus de 2000 antérieure, peut-elle être elle-même formellement “comprise” dans l’objet même qui ici est supposé en faire la thématique philosophique, à savoir la thématique du mode d’être de la Mémoire, de l’Histoire et de l’Oubli.
Problématique générale de la “récursivité” d’une “fonction” se prenant elle-même comme “argument” ou objet traité par cette “fonction” :
La remémoration de la façon dont la philosophie a traité de la remémoration.

Car c’est très minutieusement que Ricoeur essaye de “reprendre” les traces de la pensée de Socrate ( ou de Platon … ) au sujet même de ce qu’est, ou pourrait être (?), ou devrait être (?), une telle réminiscence :
La question est donc bien ici : comment un “contenu” thématique ( ici celui de la mémoire ) peut-il, rétro- agir sur la forme même, fonctionnellement active, de la pensée qui pense en “repenser” les traces ?
Une problématique formellement bien connue aujourd’hui en termes de “traitement informatique de l’ information”, et qui est à la base de toute la puissance du “numérique” : UN MÊME PRINCIPE DE CODAGE ( “digital” ou “numérique” ) permet à la fois de coder des “Données” ( le contenu ou l’objet du traitement) et toutes les fonctions et procédures formelles de “traitement” de ces données ( Tout algorithme formel pouvant être décrit à l’aide d’un tel codage, sous forme de “programme informatique” ) :
Il devient alors formellement facile de matérialiser la “récursivité” liée à cette identité du principe de codage du “contenu” et de la “forme-fonction”, et d’écrire des programmes “récursifs” où la définition même .
Bien des apprentis programmeurs ont pu s’émerveiller de l’élégance et de l’ efficacité d’une définition récursive, qui semble contredire, par sa circularité, la conception habituelle, mais naïve, de la “causalité déductive” arborescente, à savoir qu’on ne devait jamais utiliser comme “cause” une donnée qui par ailleurs est supposée être un “effet”, sous peine de “cercle vicieux” .
C’est bien sûr, comme le savent les apprentis programmeurs, la présence de “conditions d’arrêt” qui permet que les “appels récursifs” de la fonction par elle-même ne fasse pas qu’empiler en mémoire “indéfiniment” ( jusqu’à épuisement des ressources matérielles de la mémoire informatique disponible ), les traces de ces appels, mais s’arrête en effet à un moment, pour passer à une phase d’ “exécution” des prescriptions “empilées”.
De la même façon, mais beaucoup plus drastiquement encore, dans la pensée humaine réelle, les appels “récursifs” possibles en “poupées russes” ou en “tiroirs” ( “je me souviens de m’être souvenu de ce souvenir …” ) , s’arrêtent très rapidement aux tous premiers “tours” de l’appel récursif … parce que très rapidement, notre fonctionnement mental conscient ne sait plus “à quel étage d’appel récursif il en était”, et que surtout, du point de vue de l’amélioration supposée de la précision du CONTENU de la pensée, il n’y a plus guère de différence effectivement pensable entre le souvenir de “x” et le souvenir du souvenir de ce souvenir de “x” … , même si on peut s’imaginer formellement une suite potentiellement infinie de ces emboîtements, et donc une “différence” entre chaque étage d’emboitement.
Nous finissons donc rapidement, dans ce processus mental, à devoir mélanger, non pas sans doute au premier tour de la différence entre “la carte et le territoire”, mais les supposés “tours suivants” où il faudrait faire formellement la différence entre la “carte de la carte du territoire” et la simple “carte du territoire” : Les exemples pratiques d’une telle nécessité de distinction seront rapidement décroissants, ou l’objet d’un pur jeu, comme les “poupées russes” .
Pourquoi ? Parce que la différence pratique fondamentale est celle du “territoire réel” et de n’importe quelle “carte” ou “image” ou “représentation” de ce “territoire réel”, peu importe ensuite la possibilité de faire, au sein de l’univers second des “représentations” en général, une hiérarchie entre une “représentation” et une “représentation au second ou au troisième ou nième degré de cette représentation”.
De même dans la “pensée critique” , on conçoit bien encore une “critique de la critique” , mais que signifierait réellement une supposée “critique de la critique de la critique …”, sauf une prétention comique d’aller “plus loin encore” que “l’arroseur de l’arroseur arrosé”, dans une supposée escalade du “rira bien qui rira le dernier” ?
Les progrès de l’informatique et de l’intelligence artificielle nous montrent que sur ce terrain de la pure capacité récursive formelle, les automatismes algorithmiques sont bien plus puissants que nos capacités “neuropsychologiques”, et que la “raison raisonnable” consiste plutôt à placer judicieusement les bonnes “conditions d’arrêt” dans les algorithmes et non à chercher à concurrencer les capacités de traitement formel proprement dites des machines.

Paradoxes de l’identité personnelle

Le 8 octobre 2021, un article de Jean-Pierre Dupuy paraît dans “AOC”, intitulé “Métaphysique de l’ Anomalie”
https://aoc.media/opinion/2021/12/28/metaphysique-de-lanomalie-2/

Les paradoxes de l’identité personnelle sont en général liés à des paradoxes de la dimension temporelle. Rien d’étonnant à cela : Le temps étant la dimension suivant laquelle je peux conserver toute mon “identité personnelle numérique”, tout en devenant éventuellement très différent au cours du temps de ce que j’ étais, “conceptuellement” ( en termes de caractéristiques d’ “essence” conceptuelle ou comme on dit en logique de la “compréhension” du concept ).

Lorsque je parle d’ “identité personnelle“( à savoir en particulier “mon identité personnelle” ) , je distingue bien sûr cette question de l'”identité personnelle” ( liée à l’Idéal de la “Personne Libre et Égale” et qui pose d’abord une question “de jure” ) de celle de l’ “identité individuelle“, qui est d’abord une question concernant la réalité “de facto” de l’existence physique des “individus”, comme systèmes biologiques “corporels” complexes en relation complexe avec leur “environnement” lui même organisé de façon complexe, et susceptible d’études “pluri-, inter- et trans- disciplinaires quant à l’organisation dynamique complexe des relations entre “individuation” et “organisation sociale” dans l’ espèce “homo sapiens” ou le “genre homo” dans son évolution biologique rétroagissant notamment par ses productions “culturelles” sur l’ensemble des “écosystèmes” qui ont rendu possible son émergence.

Mais cette distinction des notions de “personne” et d’ “individu” ne tire sa valeur propre que de la décision même, prise en tant que “personne”, et plus précisément “en première personne” ( par “moi-même” en disant “JE”) , se posant elle-même comme “Libre et Égale”, d’effectuer une telle distinction entre l’Idéal d’ “autonomie personnelle” et notamment d’ “autonomie de la volonté” ( “de jure” ) et la réalité physique complexe où la “personne” se reconnait aussi, de facto, comme “individu” ( même reconnu ensuite en en “troisième personne” ), au sens à la fois du membre d’une “espèce biologique”, et d’ “appartenances”, sociologiques, économiques, culturelles, etc. multiples à des “organisations” supra-individuelles, ayant leur propre niveau de fonctionnement complexe.

L’articulation entre “personne” et “individu” se faisant dans les deux sens :

1. Je pose comme préalable que toute capacité “personnelle” effective, en acte, suppose une organisation physique effective, de soubassement d’abord “biologique” (postulat de type “réalisme scientifique” ) : ensemble des dynamiques bio-physiques qui constituent le cadre de l'”évolution du vivant” pour donner lieu à une organisation dynamique corporelle et notamment cérébrale capable de se représenter elle-même dans une position “singulière” au sein de tout le système de “représentations” ( conscientes et inconscientes ) que le cerveau vivant ( et ici même mon cerveau vivant ) peut élaborer au sujet de son corps propre et de l’environnement-monde où il existe comme “vivant”.

Il n’est donc nullement nécessaire, dans la perspective que je propose, de supposer un quelconque “dualisme” à l’intérieur du “réel de facto” , qui opposerait, à la manière cartésienne une “substance pensante” à une “substance étendue”, ni même à la manière kantienne une réalité “nouménale” inaccessible à notre connaissance et une réalité “phénoménale” qui serait seule accessible à la connaissance.

La position que je choisis de prendre est donc de type “monisme matérialisme émergentiste” : toute forme d’existence réelle, dont ma propre existence individuelle et personnelle consciente d’elle-même , suppose une organisation matérielle certes extrêmement complexe, mais non pas d’une complexité “infinie”, mais bien hiérarchiquement déterminable en termes d’ “échelles” d’intégration, depuis les structures physiques “élémentaires” ( décrites par les théories de la physique, notamment quantique ) jusqu’à l’organisation biologique corps-cerveau, dont le tissu d’interactions avec son environnement lui aussi physique, produit de facto ce que j’appelle “ma conscience de moi-même”.
Les progrès de nos connaissances scientifiques sur une telle “matière organisée” aux différents niveaux de complexité, finiront par permettre aux êtres organisés conscients que nous sommes, à se donner des représentations et modélisations suffisamment efficientes et précises de cette complexité, que de nombreux effets de “rétroaction” en particulier redescendants dans les niveaux d’échelle, nous donneront des moyens d’interaction actuellement encore totalement “inouïs”, puisque non encore “émergés” de formes d’organisation complexes encore inexistantes et n’ayant peut être encore jamais existé dans l’univers depuis le “big bang” …


2. La distinction “personne / individu ” est donc elle-même avant tout liée à la distinction “de jure” / “de facto” , elle même instituée – dans sa valeur projective – par un “de jure” auto-proclamé par la personne qui s’ “autorise” elle-même ( et dont d’une certaine façon, le “sapere aude” des “Lumières” kantiennes, mais aussi bien d’autres prises de pouvoir philosophique auto-référentes ont déjà pu se réclamer dans l’histoire … ).
Et, il se trouve, parce que “je” le veux ainsi, que je m’autorise en effet de l'”autonomie personnelle” radicale de ma propre volonté.

Et bien sûr, rien ne garantit “a priori“, ni dans aucun “de facto“, que l’ Idéal d’ “Égale Liberté Libre Égalité” puisse se généraliser suffisamment dans des “incarnations” physiques organisationnelles réelles, pour passer de façon beaucoup plus convaincante et efficace de l’énoncé de l’ Idéal à une “réalisation effective” .
La seule “garantie” qui peut valoir au yeux de la “personne libre et égale” est alors celle de l’autonomie de la volonté propre de cette personne à mettre cet Idéal en œuvre dans la mesure de ses propres possibles “individuels” sur lesquels elle pense avoir suffisamment à la fois de prise corporelle ( tant que “je” en personne “commande” à mon “corps propre” les actes compatibles avec un tel idéal “personnel” propre ).

Car c’est précisément en ce lieu de l’autonomie de sa propre volonté, qu’elle PEUT, si elle le VEUT, décider de définir ce qui VAUT pour elle-même et jusqu’à quel point, cette VALEUR, posée au minimum comme Idéal, “doit” au minimum pour cette personne elle-même, se traduire en “réalité”.

Remarque : il est facile de comprendre que toute personne qui “pense” et “réfléchit” à ses propres “valeurs idéales” a au minimum la volonté d’y réfléchir, ou du moins de CONTINUER ou de REPRENDRE une telle “réflexion” si d’aventure une telle “première réflexion” lui était venue entièrement du “dehors” ou avait soudain surgi de façon inconsciente et/ou aléatoire des “profondeurs de son inconscient” pour se “révéler” dans sa propre conscience.

Nous sommes donc capables de construire une “représentation”, notamment langagière, d’un tel Idéal, et donc de l’inscrire, d’une certaine façon, dans notre propre mémoire biologique “cérébrale”, et diversement stabilisable par les supports d’information extérieurs, culturels et techniques dont nous nous servons pour réussir à rétroagir sur notre propre mémoire cérébrale éventuellement défaillante, dans différentes “boucles” de “réafférence”

Et ceci, bien sûr, du simple fait, – que certains peuvent choisir de ne pas reconnaître – …, que toute pensée effective suppose, “en réalité”, une organisation physique capable d’effectuer une telle “pensée”.
( Notamment ce que nous appelons notre “cerveau” … )

Autrement dit, il y a un postulat que je formule, et qui est aujourd’hui de plus en plus commun à de nombreuses personnes, qui est que leur propre pensée consciente n’est réellement possible que grâce à une organisation matérielle complexe, ( notamment cérébrale ) , dont certes nous n’avons encore qu’une connaissance scientifique largement incomplète, mais dont il serait aujourd’hui, à mes yeux et aux yeux de ces personnes, parfaitement incongru de nier la “naturalité biologique”, vu les connaissances scientifiques accumulées, dans la biologie en général et dans les “neurosciences” humaines en particulier.

Un tel postulat d’émergence de la conscience en général et de la “conscience de soi” en particulier, par des dynamiques auto-organisationnelles du réel physique “naturel” n’a bien sûr plus rien à voir avec les dualismes substantiels du “corps” et de l'”esprit” , dont les exemples philosophiques sont bien connus, à la fois hérités des anciennes conceptions “animistes” religieuses ( l’ “âme et le corps” par exemple des monothéismes, ou du platonisme grec ), et de la “solution cartésienne moderne”, d’un “cogito” supposé purement transparent à lui-même comme “substance pensante”, mais aussi du dualisme kantien entre une structure “transcendantale” du sujet, et la réalité empirique “phénoménale” qu’elle est censée “construire”.

Si donc bien évidemment, l’ Idéal n’est pas le Réel, comme “la carte n’est pas le territoire”, il n empêche que toute “carte” est aussi une portion d’un territoire, et qu’elle a besoin pour être interprétée comme “carte d’un territoire” d’un “interprétant” lui-même réel et d’une certaine façon ancré dans le territoire dont il utilise la carte. Ainsi l’organisation de nos “cartes neuronales” est à la fois formellement “auto-organisée” ( en termes de “traitement récursif de l’information”), mais aussi très fortement entrelacée avec les dynamiques auto-organisationnelles physiques, chimiques et biologiques du “support” neuro-cérébral qui “implémente” l’auto-organisation proprement “formelle” du “traitement de l’information et du signal”. Précisément parce que le tout est “auto-organisé” et non pas construit par un super-ingénieur qui chercherait à “fabriquer” une telle “conscience artificielle” en imposant ses propres “plans” de l’extérieur.

Notre position “matérialiste émergentiste” s’apparente ici à celle de Francisco Varela et de la notion de l’ “énaction“, où la polarisation habituelle du “sujet” et de l’ “objet”, est une résultante dynamique de la complexité des interactions dans certaines circonstances de la conservation rétroactive de ces systèmes d’interactions.

Notes :

On peut aussi rapprocher ma position de celle de John Searle :
Comme lui je pense que la traditionnelle “distinction du corps et de l’ esprit” est un faux-problème …

De même les questions traditionnellement posées concernant le “problème difficile de la conscience” ( Chalmers ) me semblent mal posées, en ce sens qu’elles cherchent à résoudre des difficultés qui résultent précisément de la distinction artificielle préalable de la “réalité objective extérieure” et de la “conscience intérieure subjective” . ( On tombe alors sur les questions typiquement cartésiennes d’une “articulation” entre “substances” distinctes ).


Voir aussi la problématique traditionnellement discutée à partir de Locke :
Le prince et le savetier
Mission impensable

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