Voulez-vous jouer au jeu dont la seule règle est d’être capable d’en réinventer toujours d’autres ?

Dans sa contribution à un ouvrage collectif intitulé « Pourquoi a-t-on besoin de donner un sens à sa vie ? » ( Éditions de L’Aube, 2024 ), François Galichet se demande : « Chercher un sens à la vie a-t-il du sens ?« . Et il propose, entre autres, ( paragraphe « Gratuité et nécessité », p.230 ), sous le nom d’ « éthique baudelairienne« , l’analogie des activités de « jeu » comme « vérité de l’existence humaine« .

Cependant, sans doute pour se faciliter la « justification » de sa proposition, il n’évoque que des exemples de « jeux » dont un ensemble fini de règles définit la « règle du jeu ». Pourtant , on peut imaginer toutes sortes de « méta-jeux », qui consistent à un n-ième « méta-niveau » à fabriquer des jeux du niveau n-1 .

La description de certaines propriétés que F. Galichet attribue à tous les jeux en général, est en fait très limitée : c’est la description du « méta-jeu » définissant le « jeu » à la manière de Galichet, et dont F. Galichet donne les règles ou les définitions :
( p. 231 ) : « En un sens le jeu est gratuit … En lui-même, le jeu n’a d’autre raison que l’intérêt qu’il offre » .
« Mais en même temps, le jeu se caractérise par une nécessité absolue …« 

La discussion possible ( un « méta-jeu » … dont les « règles » s’inventent en cours de discussion … ), porte sur cette supposée « nécessité absolue ».
Certes la plupart des « jeux » pris en exemple par F.Galichet, sont des jeux avec un ensemble de règles fini. Mais malgré cela, un grand nombre d’entre eux supposent la présence d’un « arbitre » dont la « décision arbitraire » devra départager les situations où l’application mécanique des règles du jeu ne permet pas de trancher. Et c’est alors cet « arbitre » qui décide de « sortir » un joueur du jeu ( avec « carton jaune » ou « carton rouge », et non la simple application mécanique du règlement formel …) .
Certes on objectera peut-être que l’arbitre obéit à des « méta-règles » de l’arbitrage … dont la plus commune est que … les décisions de l’arbitre ne peuvent pas être remises en cause … ? sauf si …

Chacun sait bien que dans la plupart de ces « jeux à règle », l’un des intérêts du « jeu » est justement que les règles doivent être « interprétées » et que donc la « sortie du jeu » et la réintégration éventuelle, font finalement l’objet de « méta-négociations » sociales …

Alors de quel « jeu » F. Galichet parle-t-il ? Des jeux à règles auxquels des machines peuvent jouer tout aussi bien, et même maintenant, beaucoup mieux que des joueurs humains ? Et qui en effet ne souffrent alors physiquement et algorithmiquement aucune exception, sinon le blocage du « jeu » lui-même ( les fameux « bugs » informatiques, physiques ou formels ).
Ou alors F. Galichet veut-il réellement parler de l’intérêt des jeux « humains », où il y a alors du « jeu » dans le « jeu » , au sens d’un optimum de « degré de « liberté « pour les « pièces mécaniques » du jeu de « jouer » les unes par rapport aux autres, et même de nécessiter parfois « de l’huile dans les rouages » … ou d’être constitués d’une matière « auto-lubrifiante », c’est-à-dire dont le fonctionnement même utilise les déchets de l’usure produite par les « frottements » .

Bref, tous les « jeux », tels que F. Galichet en décrit la supposée « nécessité absolue de respect de la règle » cachent en fait des « méta-jeux » ( sociaux, psychologiques, etc. ) qui font la véritable « saveur du jeu » : ainsi les parties de cartes dont les célèbres répliques « tu me brises le coeur » … montrent en effet comment le jeu peut cependant continuer, et regagner de l’intérêt, précisément parce que certaines « triches » sont possibles … ou ne sont tranchées qu’à un « méta-niveau »psycho-social où l’intérêt du jeu entre les « je » se joue.

Dans le cas contraire, si on suppose réellement le respect de la rigueur mécanique de l’application des « règles du jeu » comme F. Galichet le propose,
alors il s’agit de se comporter en machine, très exactement comme les programmes d’intelligence artificielle peuvent aujourd’hui le faire, avec plus de « nécessité absolue » que les joueurs humains. Toute « obéissance » à la « règle du jeu » ne trouve son intérêt humain que si elle est librement consentie, et qu’elle suppose notamment le méta-droit de chaque personne d’inventer et de proposer ses propres « jeux » et non d’être « obligée » de suivre ceux des autres …