“Les faits sont faits”. Certes, mais il existe une démarche procédurale permettant de construire une “démarcation” entre “faits scientifiquement contrôlables” et toute autre procédure d’établissement des “faits”.
Ainsi, je ne suis pas entièrement en accord avec l’analyse faite par Géraldine Muhlmann dans un entretien récent dans Philomag :
Géraldine Muhlmann : “Dans cette guerre, chaque ‘partie’ a tendance à s’enfermer dans une vision assez fixe de la réalité”.
Il y est fait référence à son dernier ouvrage “Pour les faits”
Un commentaire en “Répliques” peut aussi en donner une certaine approche
( Émission Répliques du samedi 11 novembre 2023 Les faits et les sentiments )
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“En particulier la distinction proposée par Géraldine Muhlmann entre “discours” et “récits”, ne me semble pas être la plus apte à trouver ou à construire une sortie possible des impasses actuelles de la “construction” d’une “factualité de référence commune”.
Dans son entretien, Géraldine Muhlmann parle certes de la crise du “journalisme”, et pas de la question de l’établissement de “faits scientifiques”.
Mais nous pouvons nous poser la question de savoir si une “base factuelle commune” est encore constructible sans se référer en dernier recours à un établissement “scientifique” des faits, et non pas comme elle semble le proposer dans un investissement plus “corporel” dans un supposé “sensible partagé”.
Il faut se poser la question d’un “journalisme scientifique” ( dans l’ établissement des “faits” ), comme on utilise aujourd’hui la “police scientifique” dans l’instruction judiciaire des “faits” …
Certes, le problème du “journalisme”, du fait même de sa référence prioritaire à l’ “actualité” et donc à la négociation permanente entre l’urgence du “reportage” et la nécessaire distance de l’analyse, ne se pose pas dans les mêmes termes, ni de l’ “instruction judiciaire” dont l’établissement des faits précède nécessairement tout “jugement” proprement dit, ni de la recherche scientifique ou même simplement “historique”, impliquant des modalités particulières de “recueil des faits”.
Je concède donc à Géraldine Muhlmann la spécificité de son propos autour de la question principale de la “crise du journalisme”, et que, peut-être, pour ce problème précis, sa proposition de reconstruire du “récit“, plutôt que de confronter des “discours“, est intéressante et pertinente.
Mais précisément, le “journalisme”, pour utile et nécessaire qu’il soit dans l’immédiateté du “quotidien”, n’est pas la modalité la plus pertinente de la “recherche de la vérité” …
Et je pense plutôt que la prise de distance d’une analyse scientifique et au moins “rationnelle” du vécu, est plus apte à produire une “factualité commune partageable” ( … pour ceux qui acceptent d’en faire l’effort … ou de faire confiance aux “communautés scientifiques” … dont ils savent qu’elles font cet effort ), que le supposé “témoignage corporel” de ceux qui vivent les “évènements” sur place, même s’ils font l’ effort “journalistique idéal” de se placer d’un point de vue “impartial” ( voir à ce sujet les développements de Géraldine Muhlmann dans son ouvrage ).
Certes, dans un monde humain “consensuel a priori”, on pourrait imaginer qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des démarches scientifiques pour établir une “base factuelle commune”.
Sauf que c’est précisément ce qui n’est plus possible aujourd’hui – et ne l’a jamais été réellement … car la forme même du “récit” ne peut pas tenir lieu de “base factuelle commune”, sauf à donner en effet au mot “fait” et à la “factualité” un sens très particulier, que peuvent lui donner certains en accord avec la conception philosophique de Géraldine Muhlmann à ce sujet, y compris en croyant y trouver un “sens commun partagé” .
Les “grands récits” que certains regrettent aujourd’hui, ont été et sont encore des grandes références illusoires qui ne tiennent que pour autant que ceux qui s’y réfèrent y trouvent suffisamment de “raisons de croire, d’agir, d’espérer, etc.”.
Et surtout, quoiqu’en pense Géraldine Muhlmann, les conflits actuels les plus violents et destructeurs sont dus au moins autant à des contradictions entre “grands récits” qu’aux innombrables conflits de “discours” qui se combattent dans l’ arène des médias ou des réseaux sociaux. .
Et je ne vois pas en quoi la multiplication des “petits récits” de “témoignage du vécu” rendrait plus solide la “factualité commune” recherchée, que celle des “grands récits” .
La virulence actuelle des conflits du “Proche Orient” est en grande partie à penser dans la référence des protagonistes divers et variés à de “grands récits”, religieux, politiques, nationalistes, anti-coloniaux, etc. qui s’entre-croisent et s’entre-choquent de diverses façons en broyant la “matière biologique humaine” qui est soumise à leur emprise …
Il s’agit donc moins de regretter l’absence de “récits” , que de prendre acte de leur ambivalence fondamentale : ces “récits” servent avant tout à consolider des “identités” , même si elles sont évolutives. Un “récit” sert à se différencier d’autres “récits” concurrents, dans la vaste concurrence des “mémoires” ..
Si les “mémoires” et les “identités” servent à entretenir d’ éternels conflits sanglants … autant promouvoir en effet de nouveaux “discours” qui font le libre choix personnel de dépasser ces “récits” …
La question est donc bien d’abord, celle de la spécificité des CHOIX divergents ( de valeurs éthiques, politiques, idéologiques, et “philosophiques” en général ), et dont aucune prétention “philosophique” ne peut plus “fonder universellement” la “valeur”.
Ma position est donc simple dans son principe, même si elle se révèle également complexe à pratiquer :
Si nous cherchons une “référence factuelle commune” qui puisse départager les innombrables “fake news” et prises de positions idéologiques plus ou moins “complotistes” qui foisonnent, il faut, “en dernière instance” recourir au contrôle par la rationalité de type “scientifique”, avec toute la complexité des approches scientifiques diverses et de leur articulation, mais qui reconnaissent de fait en commun un certain nombre de critères de “recevabilité” dans les “communautés scientifiques” concernées.
Et pour commencer, il faut accepter, philosophiquement, de distinguer clairement la “recherche de la vérité” de la “recherche du bien” ou de la “recherche du bonheur” , et de ne plus prétendre trouver un “Unum , verum, bonum” … dont les références religieuses diverses nous prouvent … par l’ horreur des “faits”, qu’elles se contredisent les unes les autres au point d’en arriver à vouloir s’exterminer les unes les autres … au nom même de leur supposée “racine commune” .