L’ « autonomie brisée » est reconstituée … par cette autonomie même

« L’autonomie brisée » est le titre d’un ouvrage de Corine Pelluchon ( PUF 2009 ) , dans lequel elle prétend proposer une alternative à l’ « éthique de l’autonomie« , en l’ opposant à une « éthique de la vulnérabilité« , ou plus récemment dans un autre ouvrage à une « éthique de la considération« .

Je  ne dénie évidemment pas à Corine Pelluchon, comme à n’importe quelle personne, le droit de critiquer d’autres philosophies que la sienne, et de faire les propositions éthiques, juridiques et politiques qu’elle veut.
Mais je garde la même liberté de penser et de considérer que certains aspects de ses propositions sont dangereuses pour la liberté de penser elle-même, en tant que celle-ci précisément se fonde sur une « autonomie personnelle » suffisante, dont profitent des philosophes  comme Corine Pelluchon, mais aussi d’une façon plus générale toutes les philosophies « anti-lumières » critiques de la critique … de la raison pure.

Il n’est pas du tout nécessaire, comme elle le prétend, de briser l’idéal d’ autonomie personnelle … d’autres personnes, sous le prétexte qu’elle prétend constater que son autonomie propre de sujet ( la sienne :  comme « Corine- Pelluchon-qui-prétend-partager-son-vécu-transdescendant-avec-les-profondeurs-éco-féministes-de-la-nature »  … ) est « brisée », et qu’elle compatit avec une « brisure » similaire ressentie par un certain nombre de ses contemporains :
C’est son problème de « réparer sa brisure » avec l’éthique de son choix ou de sa construction, en bricolant la « phénoménologie de la passivité » et l’ « ontologie de la vie » qu’elle veut et avec qui elle veut ou peut :
les disciples de Lévinas par exemple, ou de multiples conservateurs réactionnaires du lobby catho-médical qui ne cessent de prétendre s’appuyer sur son « éthique de la vulnérabilité« , ou bien d’autres en effet,  du côté d’une certaine écologie animaliste radicale … si elle pense que son « ontologie de la vie » permet de « concilier » et de « considérer » tout ce beau monde … dans son « monde commun » .

Mais son choix de l’ éloge de la sensibilité passive ne vaut que pour ceux qui, activement ( ou passivement ? ), font un tel choix, et certainement pas pour tous ceux dont elle voudrait peut-être qu’ils subissent passivement ses nouvelles oukases « éthiques », ou pire, celles des milieux catho-médicaux réactionnaires qui prétendent partager ses vues.

De mon côté, je choisis au contraire de suivre une toute autre voie, celle de l’ « autonomie » en effet, mais qui, contrairement à ce que croit Corine Pelluchon, est parfaitement partageable et communicableentre toutes les personnes qui font le libre choix d’une telle autonomie personnelle et qui sont parfaitement capables d’ouvrir cette voie à toute autre « organisation vivante » qui voudrait l’emprunter et y participer en toute « Égale Liberté ».

Et contrairement à ce que prétend  Corine Pelluchon, il n’ y a pas que l’ « expérience de la vulnérabilité » que nous partageons avec les autres êtres vivants, mais aussi corrélativement l’expérience d’un pouvoir possible sur le réel en tant que ce réel n’est pas spontanément « bon » à « notre » égard, bref tout un ensemble de conditions dans le monde vivant qui préfigurent certains aspects de l’ « autonomie » qui émerge consciemment et réflexivement  dans la pensée humaine.

Ainsi, on peut jeter un tout autre regard que celui de Corine Pelluchon sur l’ aventure de l’évolution du « vivant », et s’apercevoir qu’en réponse à la « passivité » de ses conditions de vie « vulnérables », de nouvelles formes de vie toujours plus capables de « répondre activement » à ces conditions adverses sont également apparues, précisément en devenant capables d’y survivre mieux que d’autres.

L’insistance sur la vulnérabilité et sur la passivité, ou la souffrance n’ont d’intérêt, pour nous, que si ces « passions tristes » peuvent progressivement être compensées et dépassées par une coordination active et autonome et la création toujours renouvelée de formes nouvelles capables non seulement de résister aux aléas du fonctionnement spontané d’un réel aveugle, mais de contrôler de mieux en mieux, par la complexité des systèmes de régulation compensateurs que nous sommes capables d’imaginer et de concevoir, les situations de pure passivité que nous subissons encore très largement en effet, et que les animaux en effet, subissent encore davantage que les êtres humains …

Je propose donc de radicaliser l’ « éthique de l’autonomie » en ce sens que désormais, c’est au nom d’une telle autonomie généralisable sans contradiction à tout « être » …  qui en manifeste la volonté , mais voulue en « commun » … par tous ceux qui la veulent et qui veulent donc aussi y accéder à Égalité au fur et à mesure qu’elle se développe  ( « Égale Liberté » ), que cette autonomie se « justifie » par « elle-même » ( AUTOS ) :  elle se « justifie » simplement en effet par et pour eux, dans la mesure où ils en manifestent l’intention ET acceptent de reconnaître comme aussi légitime toute intention semblable à la leur, et donc de participer activement à sa réalisation commune, et , pour commencer par le plus simple : par la manifestation verbale d’une telle référence commune, dans et par laquelle chacun peut énoncer librement et à sa façon précisément, comment il veut »participer » à la libre constitution de cette « référence symbolique ».

Ceux qui ne veulent pas d’une telle « autonomie » peuvent évidemment … garder la leur ( ? ) … du moment qu’ils ne cherchent pas à nous « imposer » de façon coercitive ( « active » ! ) leur propre conception « passive » de leur rapport au réel ou à toute autre « loi hétéronome » où il prétendent « se » soumettre à la « loi de l’ Autre » …

En effet une telle « nouvelle éthique de l’ autonomie » ne prétend plus s’appuyer sur une quelconque « structure transcendantale du sujet ».
Elle n’est pas fondée non plus sur de supposés « droits naturels » ou je ne sais quel « invariant anthropologique », ni encore moins sur le « droit positif » que s’arroge telle ou telle communauté politique nationale ou internationale, ni sur un quelconque « spécisme humaniste » :

 Tout être, y compris animal ou tout ce qu’on voudra, peut être d’ autant plus « reconnu » comme « personne autonome » par d’autres « personnes autonomes », qu’il est lui-même capable de se reconnaître lui-même comme une telle « personne autonome » et de reconnaître toute autre initiative vivante similaire comme aussi légitime que la sienne dans ce nouveau « droit ».

On voit qu’il n’ y a là plus d’autre condition « ontologique » de reconnaissance réciproque d’un tel nouveau « Droit », que précisément les conditions formelles de « réflexivité » ( se reconnaître soi-même comme une telle personne ), de « symétrie » ( ou de réciprocité de cette reconnaissance : j’ ai le « droit » d’être ainsi reconnu si je confère le même droit à ceux à qui je demande de me reconnaître ce droit ) et d’ extension universalisable possible de ce statut  à toute entité dans l’ univers qui en manifesterait la demande ( ET accepterait de reconnaître aux autres cette « relation d’ équivalence » de l’ autonomie ou de la liberté  des « personnes » ).

Une telle « définition » de l’ « autonomie personnelle souveraine sur elle-même » n’est bien sûr – par cette « définition » MEME, imposable à « personne », ni par contrainte, ni par obligation « hétéronome », si cette personne concernée « elle-même » ne veut pas « elle-même » librement se définir ainsi comme « personne autonome » … suffisamment libre et autonome pour se déclarer comme telle ( La propriété de « réflexivité », d’auto-attribution autonome de l’ autonomie dans cette définition ne serait pas vérifiée ).

De même, une personne ou un être qui refuserait à d’autres de pouvoir ainsi se définir elles-mêmes comme de telles personnes, ne pourrait pas non plus demander à « bénéficier » elle-même de ce nouveau « Droit » d' »autonomie personnelle souveraine sur soi », parce que la « symétrie » de cette libre relation contractuelle ne serait pas vérifiée ).

Et enfin, troisièmement, une personne candidate à ce nouveau « Droit », ne peut refuser à aucun être réel de l’Univers de postuler également à une telle reconnaissance, si cet être se montre capable à la fois de la réflexivité ( auto-reconnaissance ) , de la symétrie ou réciprocité de cette reconnaissance, et de l’ élargissement d’un tel « Droit » à tout autre être qui « déclare » sérieusement , donc librement, adhérer à un tel « Droit ».

Une telle définition formelle idéale est d’ailleurs très proche des propriétés « logico-mathématiques » d’une « relation d’ équivalence » en général :
« Ce » qui est ici estimé, par les personnes elles-mêmes, comme « équivalent », c’est précisément leur « droit à l’ autonomie, qu’elles savent donc devoir assurer elles-mêmes « collectivement » … si elles ne veulent pas avoir à se « débrouiller toutes seules » avec le peu de moyens et de ressources « vulnérables » dont elles disposent chacune. comme « organisme biologique actuel ».
Nous sommes donc très loin du prétendu « individualisme égoïste forcené » par lequel les adversaires de l’ autonomie personnelle cherchent à dévaluer cette exigence d’autonomie.

Alors en effet, la « communauté » virtuelle de ces « personnes souveraines libres et égales », ne peut pas encore être assimilée à une quelconque « communauté politique » ou autre « association » réelle actuelle.

D’autant plus que, « en Droit » ( dans ce nouveau « Droit » ), d’innombrables autres êtres dans l’ Univers PEUVENT éventuellement déjà faire partie d’une telle « communauté virtuelle », puisqu' »il faut et il suffit » dans cette définition, qu’ils se conçoivent eux-mêmes de cette façon, c’est à dire en ayant réciproquement la même reconnaissance envers  des « personnes souveraines libres et égales », personnes humaines terrestres par exemple, que celle qu’ils se confèrent à eux-mêmes dans cette hypothèse.

Chaque être humain actuel, VOUS par exemple, voyez bien jusqu’où VOUS seriez déjà prêt – ou pas ( C’est VOUS qui voyez ) – à participer à la redéfinition réelle commune des « droits humains » et des « droits du vivant » ou de ce que vous voudrez comme « droit », sur une telle base élargie d’ « autonomie personnelle radicale également partageable ».

Rien ne VOUS y oblige, mais rien non plus ne vous l’interdit … à moins que VOUS ne VOUS l’interdisiez à VOUS mêmes … en prétendant qu’un tel « Interdit » provient d’ « Ailleurs » … dont VOUS ne savez rien ou presque rien ( puisque vous prétendez que ce « visage d’Autre » est un mystère insondable ) … pas plus que n’importe qui d’ « autre » que VOUS.

La question qui se pose en effet à VOUS, si VOUS le voulez, est de savoir si VOUS savez ce que VOUS voulez … et jusqu’où VOUS prétendez le savoir ou ne pas vouloir le savoir …
Évidemment, « je » ne le saurais ni ne voudrais prétendre le savoir … à VOTRE place !

C’est donc VOUS qui voyez … pour VOUS-MEMES.