Il existe une indiscutable parenté entre les conceptions kantiennes de la “moralité pure” et certains aspects “universalisables” de notre propre proposition de “Loi Morale Nouvelle”. Mais il y a aussi une différence radicale qui, d’une certaine façon, peut apparaître comme une “radicalisation” de la notion d’ “autonomie” de la personne, que la philosophie pratique kantienne a bien sûr fortement contribué à mettre en place, mais qui, à cause en partie des contraintes culturelles propres à son époque, mais aussi d’une confusion à l’intérieur du système de la “raison critique” kantienne, n’a pas permis à la philosophie kantienne d’aller au bout de son intuition pourtant déjà très élaborée de l’autonomie de la volonté d’une “personne”.
Un des points caractéristiques de divergence est également très clairement visible dans le fait que la “Loi Morale Nouvelle” dont nous parlons, tout en visant un horizon d’universalisation future très proche de l’idée kantienne du “royaume des fins”, n’a besoin d’aucun “postulat de la raison pratique” du genre “immortalité de l’ âme”, ni d’ existence d’un “Dieu moral”, pour assurer non seulement sa propre valeur morale, mais même sa réalisabilité progressive dans un avenir indéfiniment ouvert. Car cette ouverture est précisément “postulée” directement par la volonté autonome elle-même des “personnes souveraines, libres et égales” : sa valeur est définie de façon autonome ( ce qui est déjà le cas chez Kant, mais avec un principe d’universalisation malheureusement calqué sur l’universalité des “lois de la nature” … ),.
Mais nous disposons désormais aussi d’une toute autre possibilité d’action effective sur le réel universel, progressivement décrit par les disciplines scientifiques comme indéfiniment “rétro-contrôlable” par les moyens de la technique liée à ces développements scientifiques.
La conformité future des phénomènes réels à nos propres exigences morales autonomes dépend de plus en plus précisément de nos propres décisions autonomes, et non plus d’une supposée “raison divine” qui aurait accès à la “réalité en soi” alors que les êtres humains n’auraient accès qu’à une réalité “phénoménale” à jamais limitée par une “constitution transcendantale” … Établie par QUI ? Par la “raison divine” ou par la “raison kantienne” ? ou par une “structure anthropologique originaire” … elle-même constituée par un “malin génie philosophique” … ?
La distinction kantienne radicale entre “chose en soi” inaccessible et “phénomènes” seuls connaissables à travers une grille de “subjectivité transcendantale” n’est plus aussi pertinente qu’à l’époque kantienne, car nous avons de plus en plus de bonnes raisons théoriques de penser toutes nos capacités d’organisation “subjective” de notre expérience, non plus en termes de “constitution transcendantale“, ni même de constitution “phénoménologiquement originaire“, mais bien dans le “réseau” totalement “immanent” de la “réalité” à la fois empirique et théorique où notre “pensée-conscience-cerveau” à la fois se prend comme “objet” de science et analyse sa propre capacité “subjective” à “constituer” de tels “objets”.
Tout “sujet” personnel actuel est ainsi aussi ( s’il veut se donner une telle représentation de lui-même … ) un sujet-objet et un objet-sujet dont la boucle auto-référentielle est simultanément suffisamment “fermée” pour pouvoir auto-produire sa propre “VALEUR” et suffisamment “ouverte” pour explorer de plus en plus efficacement l’espace des possibles physiques organisationnels de l’univers, qui permettent à une telle conscience personnelle de survivre un certain temps actuellement, tout en gardant ouverte une capacité créatrice de projection scientifico-technique dans le futur où sa propre “identité personnelle” peut être pensée comme suffisamment “reproductible” pour se “retrouver elle-même”, non pas dans telle ou telle incarnation ou configuration particulière de son passé, ( ce qui est très secondaire ), mais bien dans sa capacité organisationnelle d’autonomie personnelle consciente compatible avec l’égale autonomie personnelle consciente d’innombrables autres “entités organisées” dans l’ univers.
C’est bien une “idée” qui commence aujourd’hui à se répandre dans certaines conceptions dites “transhumanistes“, et dont il s’agit, pour ma part, de tester la compatibilité logique avec l’idéal d’une “Égale Liberté” de toute personne à pouvoir bénéficier, en y participant activement, des possibilités nouvelles ainsi ouvertes au niveau scientifico-technique …
Il n’ y a donc aucun “postulat de la raison pratique” nécessaire en-dehors de cette raison auto-référentielle : c’est désormais à ELLE-MEME d’assurer sa propre “immortalité” et sa propre capacité de plus en plus “divine” ( mais immanente ) d’assurer rétroactivement tous les contrôles rétroactifs conscients sur une réalité dont elle tire effectivement inconsciemment son “origine”. (Origine dans l’évolution de l’univers et du vivant et dans l’évolution des systèmes sociaux et culturels humains … dont nous étudions et formalisons après coup les “lois de la nature” , les “lois sociologiques, économiques”, etc. ). Mais cette prise de conscience elle-même ( individuelle et collective ) crée désormais un tout nouvel “ordre du réel organisé” autoréférentiel et récursivement piloté par ces processus de “prise de conscience” mêmes, qui en retour en “augmentent” les capacités.
La corrélation entre la “moralité” ( se rendre digne du bonheur ) et le contrôle des conditions du réel qui doivent de plus en plus incarner un tel “souverain bien“, nous incombe donc désormais, du moins à toutes les personnes qui veulent ainsi librement constituer leur propre souveraineté collective en se reconnaissant mutuellement comme “personnes souveraines sur elles-mêmes, libres et égales entre elles” … et avec toute autre organisation matérielle de l’univers capable d’une telle prise de conscience individuée et prenant librement cette même décision de reconnaissance mutuelle.
Il est facile de comprendre comment une telle autonomie, tout en s’appuyant sur certains aspects déjà présents dans l’autonomie morale kantienne, en radicalise désormais le principe d’universalisation POSSIBLE, mais non pas dans un “impératif catégorique universel et nécessaire”, puisque désormais directement auto-fondé dans la liberté même ( comme “Égale Liberté” ) de toute personne qui choisit d’y participer ( … ou pas ) . L’ universalisation possible ne s’étend donc qu’aussi loin que la liberté de chaque personne veut en décider pour elle-même.
“NouS” sommes désormais notre propre “recours” d’assurance future d’un “souverain bien possible”, pour autant et seulement pour autant que nous choisissons librement de participer à sa “constitution formelle” et à sa “construction réelle”, parce que c’est à ce prix que “NouS” devenons pleinement responsables de notre propre liberté autodéterminée, “en même temps” personnelle et collective ( … pour les personnes qui font ce choix … ).
Les “autres” … se débrouillent comme avant depuis toujours, avec leurs propres conceptions de la liberté, s’ils ne veulent pas d’une telle “Égale Liberté Libre Égalité” et avec la multitude des conflits insolubles que leurs divergences entraînent et entraîneront de plus en plus …
“Kant à Vous” …. comme toujours ici, c’est “Vous qui Voyez …”