- Dans toute “loi morale”, depuis longtemps, les philosophes et même les théologiens qui considèrent que la “loi morale” est fondamentalement une “loi divine”, ont considéré qu’une action proprement “morale” suppose la LIBERTÉ de la personne qui “doit obéir” à cette “loi morale”.
L’idée apparaît donc très tôt que si la liberté de celui qui “obéit” à une loi n’est pas garantie, son choix entre le “bien” et le “mal” défini par la “loi morale” n’est pas “purement moral”, mais obéit en fait à d’autres déterminations et notamment à des sentiments ou des émotions, comme la peur, la crainte d’être puni, ou inversement le désir d’une récompense, l’ attachement affectif à certaines personnes , la recherche de la sécurité, ou à toute forme d’ “intéressement” personnel.
Autrement dit il y a très tôt une claire perception de la différence entre la contrainte de soumission à un ordre social, politique, juridique etc. reposant en dernière instance sur la force ou la peur, et l’ “obligation morale” supposant un rapport de soumission libre et volontaire à une telle loi.
Mais dans toutes ces formes de morales “hétéronomes” traditionnelles, la “loi morale” elle-même est posée comme extérieure et/ou préalable au “sujet” qui “doit” lui obéir ( loi divine, loi sociale, traditions, coutumes,
droit naturel, “structure anthropologique”, “nature humaine” …) , et où la personne elle-même n’interviendrait pas elle-même dans la définition de la loi.La distinction est encore plus facile à faire entre la liberté liée à la moralité et donc le type de lien volontaire conscient établi entre la “raison” de l’ acte libre et le contrôle volontaire de cet acte libre, et d’autre part tous les aspects de notre comportement qui sont simplement “automatiques” ou déterminés inconsciemment ( qu’il s’agisse de l’ inconscient freudien, ou de toute forme de dynamiques physico-bio-socio-éco-culturo … dont les effets se manifestent dans notre comportement réel observable ou analysable après coup , mais dont nous n’avons soit aucune conscience, soit une conscience très vague ou limitée ou illusoire, etc. ).
2. Rousseau du point de vue juridico-politique et Kant du point de vue proprement moral, essayent de dégager un rapport beaucoup plus fort et direct entre la Liberté et la “Loi” ( “juridico-politique” dans le contrat social rousseauiste, “loi morale” dans le cas de la critique de la “raison pratique” kantienne ) : c’est la forme universelle suivant laquelle la “loi” se rapporte à la “liberté” de la personne et non le contenu particulier de telle ou telle loi ou règle qui caractérise l’aspect “moral” chez Kant.
Ou chez Rousseau, la forme de la participation de chaque personne à la constitution même de la loi politique ( pouvoir législateur démocratique) qui le transforme de simple “sujet” soumis à la loi en “citoyen” co-législateur de la loi.
Mais ni chez Rousseau, ni chez Kant nous ne trouvons d’identification de la “Loi” elle-même avec la Liberté elle-même, comme si le principe d’ “égalité devant la loi” empêchait une telle “Égale Liberté” d’être “librement voulue” par les personnes, donc par certaines personnes, mais pas nécessairement par toutes.
On trouve donc une “rigorisation” parallèle de la loi morale chez Kant, et de la loi démocratique et républicaine du contrat social rousseauiste :
L’idée que la liberté de tous ( qui est la nouvelle définition de la “loi” ) ne peut provenir que d’une restriction drastique de la liberté individuelle de chaque personne …
Il en est ainsi de la façon dont Kant pense devoir appliquer son principe d’universalisation dans l’ “impératif catégorique”, et de la façon dont Rousseau pense que c’est seulement l’abandon entier par chaque citoyen de sa “liberté naturelle” au profit du collectif “souverain” qui permet la garantie de la “liberté civile” égale qu’il en reçoit en retour.
3. Le relativisme moral.
Depuis longtemps aussi, existent toutes sortes de contestations critiques de l’existence ou de la valeur universalisable d’une quelconque “loi morale”.
Ces critiques consistent à relativiser les lois morales existantes : les lois concrètes qui prétendent obtenir l’obéissance de leurs “sujets” sont variables, dépendent des cultures, des circonstances, des forces et des intérêts en présence, ou même d’un pur hasard.
Une telle critique de la notion même de “moralité” et de “loi morale” est par exemple déjà celle des “sophistes”, ou de multiples morales particulières qui considèrent les autres morales comme “relatives”.
On a aussi de nombreuses analyses qui ne voient dans les “lois” et normes de toutes sortes ( politique, juridiques, morales, religieuses ) qu’une inscription forcée ou physiquement déterminée de divers rapports de forces présents dans le réel, et donc que la notion même de “morale” n’a pas de sens parce que la notion de “liberté” n’en aurait pas non plus.
Remarquons cependant que ce type de critique met quand même aussi en relation, même si c’est pour s’opposer aux deux, la notion de “morale” et la notion de “liberté”.
Bien sûr aussi, dans ce cadre critique relativiste des supposés “fondements de la morale”, on peut reprendre toute l’ évolution de la pensée des “maîtres du soupçon” ( dont la triade Marx, Nietzsche, Freud a souvent été mise en exergue symbolique ) , l’ essor des “sciences humaines” au XXème siècle, et en particulier dans les aspects philosophico-politiques de ce qu’on a appelé le “structuralisme” dans les années 1960, ou plus récemment tout ce qui a pu être produit sous le vocable de “post-modernité“.
4. Ceux qui voudront replacer la proposition de “Loi Morale Nouvelle” comme proposition de l’ “Égale Liberté Libre Égalité”, dans une telle “histoire des idées”, comme une résultante de mécanismes évolutifs de la pensée humaine qui ont donné localement cette “variante” de “proposition morale”, peuvent bien sûr forger toutes les hypothèses de leur choix à ce sujet, et ne pas du tout s’intéresser à ce que je peux moi-même dire subjectivement des “raisons” d’une telle initiative.
Cependant, ceux qui voudraient suivre une analyse proprement philosophique de telles raisons, peuvent chercher du côté d’une radicalisation du rapport entre l’ idée de Liberté comme directement et Librement … constitutive de la Loi Morale , en tant qu’elle se pose elle-même comme universalisable à la condition de cette Liberté même : universalisable par et pour toute “personne” qui veut l’établir et qui se définit alors aussi comme Égale à toute autre Liberté qui pose cette même finalité commune.
Le verrou “rigoriste” de l’universalisation kantienne des “maximes” saute donc parce que le seul critère d’universalisation devient donc celui de la Liberté elle-même en tant qu’elle peut être universellement partagée … par toutes les personnes qui veulent librement la partager … en toute Égalité … entre elles.
Car toute autre personne, qui pourrait partager cette “Égale Liberté”, mais tout simplement ne le VEUT PAS, est en effet “libre de ne pas le vouloir”, mais se coupe par là même de la possibilité de recourir à la justification et à la protection spécifique de cette “Loi Morale Nouvelle” dont toute l’ “obligation” ne peut, par la définition donnée de cette Loi, provenir que de la Liberté elle-même que chaque personne se propose de partager avec les autres, et non d’une “nature humaine”, ni d’une “constitution transcendantale”, ni d’une “anthropologie originaire”, ni d’ aucun “Grand Autre” qui imposerait sa marque de l’extérieur des personnes libres elles-mêmes ( par exemple l’ “Autre” de Lévinas )
Le “devoir moral” ne résulte donc pas de la “Loi Morale Nouvelle” comme telle, mais uniquement de la libre volonté de certaines personnes de poser cette Loi Morale Nouvelle comme leur volonté commune.
La “définition” de cette Loi Morale Nouvelle est posable par n’importe qui veut la poser ( comme toute “définition” d’un langage formel ou d’une création langagière artistique … ).
Mais son effet proprement “obligeant” ne peut provenir que de la personne elle-même qui choisit librement d’adopter ou de recréer cette “même définition“comme idée régulatrice de sa propre liberté.
Ce n’est donc pas un “impératif catégorique” au sens d’une morale kantienne “transcendantale” ( constitutive de l’ “humanité de l’homme” ), mais un “impératif conditionnel”, qui ne vaut que par et pour ceux qui en choisissent librement la valeur.
Pour tous les “autres”, la situation actuelle reste inchangée, les mêmes problèmes et les mêmes “solutions” philosophiques, éthiques,politiques, esthétiques, culturelles … leur restent disponibles, et donc toutes les difficultés dans lesquelles ils se débattent s’ils veulent sortir du “relativisme individualiste généralisé” où seule la “loi du plus fort”, individuelle ou collective – communautaire – ou mondialisée joue la suite des mécanismes de l’ “évolution” darwinienne généralisée ( pas seulement “biologique”, mais culturelle, politique, etc. ) … où tous ces “mèmes” culturels et leurs innombrables variantes recombinées trouvent ou ne trouvent pas les ressources de cerveaux et de processus économiques disponibles pour se reproduire …
Quant à VOUS donc, c’est VOUS qui voyez.